Les voitures électriques et les aléas de la charge rapide .
8 Février 2025
La faiblesse de l'autonomie des voitures électriques est un sujet sensible qui pourrait bien contrarier le développement de ce marché s'il n'y était rapidement porté remède.
Pourtant, le parcours journalier moyen d'une voiture n'est que de 33 km soit 12 000 km/an.
Mais cette valeur moyenne, plutôt faible, cache une très grande disparité.
En effet, quelle que soit l'intensité de l'utilisation journalière, chaque utilisateur aura besoin plusieurs fois par an d'effectuer un déplacement de longue distance sur autoroute.
La fréquence de ces déplacements au long cours est évidemment très variable, entre deux ou trois voyages dans l'année, jusqu'à plusieurs dizaines voire davantage selon l'activité exercée et le mode de vie.
Une voiture thermique de bonne facture est capable de remplir les deux types de besoins grâce à son autonomie de l'ordre de 700 km, et la possibilité de « refaire le plein » en cinq minutes à n'importe quelle pompe et pour un coût sans surprise.
Par contre, pour offrir les mêmes possibilités, la voiture électrique doit embarquer une batterie d'une capacité « utile » de 150 kWh environ, et pouvoir accéder facilement à une borne de charge rapide capable de lui fournir une puissance continue de 600 kW capable de lui délivrer environ 100 kWh en 10 minutes.
( Voir articles précédents ).
Aujourd'hui, les VEB ( Voiture Electrique à Batterie ) de milieu de gamme sont équipés de batteries d'environ 50 kWh utiles, limite imposée par le prix et le poids dans les technologies de batteries actuelles.
Ce rapport 3 entre ce qu'il faudrait pour l'usage autoroutier et ce qu'il est possible d'avoir aujourd'hui, résume le problème de la voiture électrique actuelle.
(Certes, on peut toujours ergoter autour de l'intérêt réel d'avoir une autonomie de 700 km alors que la moyenne journalière des trajets est de 33 km, mais aucun raisonnement ne convaincra le client de renoncer au « confort » d'une autonomie de 700 km qui lui permet d'aller voir tante Adèle tous les week-end sans avoir à s'arrêter deux fois en chemin et perdre deux heures pour obtenir au prix fort les deux fois 35 kWh qui lui permettront d'atteindre Avignon ou Plougastel.
Car une borne de charge rapide ne peut fournir que 35 kWh ( 10% à 80%) à une batterie de 50 kWh...).
Les acheteurs d'un VEB de classe moyenne devront donc se contenter d'une autonomie de 160 km sur autoroute entre deux charges ( 10%-80% ) sur une borne de 100 kW, qui leur délivrera à chaque fois 35 kWh ( en un temps assez indéterminé) qui seront « brûlés » en 160 km à 130 km/h sur l'autoroute, car la consommation d'un VEB à ces allures est de 22 kWh/ 100 km en moyenne.
( Ceux qui vont souvent voir tante Adèle passeront leur chemin et rachèteront une thermique...).
Ceci explique probablement une grande partie du manque d'enthousiasme des acheteurs .
Et la charge rapide dans tout çà ?
Passe encore pour l'autonomie espérée à laquelle il nous faut renoncer avec nos « pauvres » 50 kWh.
Mais, pour compenser, peut-être aurons-nous la charge rapide en cinq minutes, comme la vieille guimbarde thermique de grand'père.
Hélàs, il nous faudra aussi y renoncer, du moins pour le moment..
Voyons ce qu'il en est.
La batterie décide des performances du véhicule.
( Il est important de rappeler cette nouvelle doxa ; ce n'est plus le moteur qui est le cœur d'une voiture électrique, mais bien sa batterie. Ceci pour les amateurs de km départ arrêté, il y en a encore...).
Sa capacité décide de l'autonomie.
En effet, la consommation d'une voiture électrique de gamme moyenne varie entre 12 et 22 kWh/100 km selon les conditions d'utilisation* ( valeurs moyennes évidemment ).
*( En ville avec récupération d'énergie au freinage, ou sur autoroute à 130 km/h )
L'autonomie est donc comprise entre 400 et 160 km environ pour une batterie de 50 kWh utiles
Dans le premier cas on part avec une batterie chargée à 100% ( au domicile ou sur une borne disponible pour plusieurs heures...) et on l'utilise en agglomération ou sur route à vitesse limitée à 80 km/h, jusqu'au niveau de 5%, soit 47,5 kWh consommés et donc environ 400 km parcourus, en utilisant à 50% la récupération d'énergie au freinage.
Quasiment l'autonomie WLTP, celle qui est mise en avant dans les publicités.
Dans le second cas on part avec la même batterie pleine, mais sur l'autoroute à 130 km/h.
On sait que les bornes rapides ne lâchent les kW qu'entre 10% de charge et 80%. en-deçà ou au-delà c'est de la charge lente...
On s'arrête donc à une borne rapide lorsque le niveau de batterie est à 10%, et après avoir parcouru 200 km en consommant 22 kWh/100 km.
On est déjà loin des 400 km du catalogue.
La charge rapide fonctionne et nous délivre de quoi remplir la batterie à 80%.
Nous repartons avec une réserve utilisable de 70% de la capacité utile ( Entre 10% et 80% ).
Cette fois la distance que l'on pourra parcourir avant de retomber à 10% de capacité sera de 35 (kWh) divisés par 22 (kWh/100 km), soit 160 km.
Les 400 km d'autonomie sont donc oubliés.
Mais çà on le savait déjà en partant, pour peu que l'on soit curieux et que l'on dispose d'une petite calculette à 8 euros.
Eh oui, si l'on va un peu loin, il faudra s'arrêter pour refaire le plein tout les 160 km.
( En limitant la vitesse à 100 km/h, la consommation tombe à 15 kWh/100 km et l'autonomie entre deux recharges est alors de 230 km. C'est mieux, mais à peine...Et qu'est-ce qu'on fait sur l'autoroute à 100 km/h ?).
Le régime de charge-décharge ( le courant ) supporté par la batterie décide de la puissance maximale que cette batterie peut fournir, et donc le moteur qui peut raisonnablement être utilisé derrière.
( Dans une batterie au Lithium, le courant électrique qui va de l'anode à la cathode et vice-versa, est constitué d'un flot d'ions Lithium qui transitent physiquement d'une électrode à l'autre à travers l'électrolyte. Plus la demande de courant ( charge branchée à l'extérieur ) est grande et plus sera grande la vitesse de transit , d'insertion, et désinsertion de ces ions.
Selon les matériaux et la structure des électrodes et de l'électrolyte, il existe une valeur limite de la densité de courant au-delà de laquelle il y a détérioration des structures internes et risque d'agglomération d'ions (les fameuses dendrites) qui entraînent une perte de capacité et peuvent créer des court-circuits destructeurs.
Les batteries de # 50 kWh montées actuellement sur les modèles de moyenne gamme sont spécifiées pour un régime de charge/décharge de 2 C, éventuellement 2,2 C, La puissance max dépend ainsi du courant maximum que peu fournir la batterie sans compromettre sa fiabilité.
Le régime 1C correspond au courant qui décharge ou charge la batterie en une heure.
Un régime 2C permet de charger ou décharger la batterie en 30 minutes.
Etc.
Pour une batterie de 50 kWh, le régime 2C habituellement spécifié correspond à une puissance de 100 kW pendant 30 minutes au terme desquelles la batterie est vidée.
100 kW font 135 CV, qui est donc la limite acceptable de la puissance du moteur pour ne pas dépasser le courant max de la batterie, au-delà duquel la fiabilité est compromise.
( Les voitures équipées d'une batterie de 50kW sont donc, en principe, équipées d'un moteur d'une puissance max de 150 CV environ. Certains modèles dits « sportifs » peuvent avoir un moteur plus puissant, mais la fiabilité de la batterie est compromise...Et quel intérêt d'avoir 200 CV si la batterie doit se vider en dix minutes ?
On touche ici une des limites de la voiture électrique en général : elle peut éventuellement aller vite, voire très vite, mais pas longtemps.
( Le très vite est cependant limité par l'absence de boîte de vitesse ce qui, aux hautes vitesses, entraîne des régimes dangereux pour les roulements à billes et les rotors...
Au-delà de 12 000 tours/mn la vie des roulements et des rotors est compromise ; certains peuvent monter jusqu'à 18 000 tours/mn mais ce n'est pas le même prix...
De plus, à ces hauts régimes, les pertes Joule ( dans le cuivre des bobinages), les pertes fer ( dans les noyaux des bobinages), et les pertes de commutation dans les semi-conducteurs, augmentent considérablement et donc dégradent le rendement, ce qui accroît la consommation et vide la batterie en quelques minutes...).
Les batteries sont spécifiées, entre autres, pour un certain régime de charge-décharge maximum afin de préserver la fiabilité. Un courant trop élevé pourrait détériorer les structures internes et conduire au mieux à une baisse des performances, et au pire à un échauffement destructeur.
( Dans un tel cas, le BMS bien élevé mettrait fin à l'exercice et la voiture s'arrêterait d'elle-même...en principe ).
Ce régime de charge-décharge à ne pas dépasser s'exprime en fonction de la capacité.
Pour une batterie de 50 kWh, le régime 2C correspond au courant qui décharge la batterie en trente minutes, et donc à une puissance de 100 kW ou 135 CV.
Cette batterie peut donc se brancher à une borne de recharge capable de lui fournir 100 kW.
Ce peut être une borne plus puissante ( 150 ou 175 kW ), le BMS de la voiture dialoguera avec la borne pour lui expliquer qu'elle veut 100 kW.
Le client peut vouloir 100 kW, mais si le BMS estime que c'est trop car la température de batterie est déjà un peu trop élevée, ou la batterie un peu fatiguée, il se mettra d'accord avec la borne autour d'une valeur intermédiaire, par exemple 80 W, voire 70W. ( Eh oui, c'est déjà de l'IA qui décide à notre place ).
La charge démarre donc sur 80 kW. Mais ce courant, proche du maximum spécifié pour la batterie, va faire chauffer cette batterie d'autant plus que la voiture est à l'arrêt et que le système de refroidissement est arrêté ( en général ).
La borne va donc démarrer sur 80 kW . Mais si l'échauffement résultant, qui vient s'ajouter à la température initiale est estimé trop haut, la borne va réduire la puissance fournie, autant que nécessaire pour éviter une surchauffe.
Le temps de la charge rapide risque ainsi de s'allonger, et le temps mis pour atteindre 80% de charge sera très supérieur à celui attendu par le client.
La borne peut même s'arrêter avant la fin si le BMS constate une surchauffe anormale.
( C'est le BMS de la voiture qui surveille tout çà...)
e phénomène d'allongement du temps de charge est commun à toutes les batteries de cette génération, mais l'effet est plus ou moins marqué selon l'origine de la batterie.
Un constructeur utilise généralement plusieurs fournisseurs de batteries, pour des raisons de sécurité des approvisionnements. Cet effet d'allongement des temps de recharge est variable d'un fournisseur à l'autre …
De plus, l'allongement du temps de recharge est d'autant plus important que la température initiale de la batterie est élevée, ce qui est en général le cas après une ou deux heures d'autoroute à 130 km/h en été. La charge rapide peut alors s'avérer piteuse, voire même refusée.
( Après un parcours autoroutier à 130 km/h en été, il peut être prudent d'attendre que la batterie refroidisse avant de la brancher sur une borne rapide...évidemment ce temps d'attente vient s'ajouter au temps de la recharge...).
Dans certains modèles haut ( très haut ) de gamme, le système de refroidissement de la batterie peut être mis à contribution pour favoriser une charge rapide éventuellement.
Donc la charge rapide peut ne pas s'avérer aussi rapide qu'espéré. Et de plus, la quantité d'énergie récupérée à la borne « rapide » représente au mieux 70 % de la capacité utile de la batterie.
( elle démarre à 10% pour se terminer à 80% ).
( Cet arrêt à 80% de la charge max est justifié pour deux raisons :
D'une part, la valeur limite de la tension à ne pas dépasser est assez imprécise et varie d'une batterie à l'autre et en fonction de l'échauffement ; il est donc prudent d'interrompre la charge rapide avant d'entrer dans une zone dangereuse.
D'autre part, au-delà de 80%, le courant de charge serait tellement réduit qu'il faudrait une heure ou deux pour compléter la charge à 100%, ce qui enlèverait tout intérêt à l'opération ! ).
Pour récupérer 70 % de capacité avec une batterie de 50 kWh utiles sur une borne de 100 kW il faut théoriquement 21 minutes.
Mais, selon l'état de la batterie, la puissance délivrée au départ est souvent inférieure à 100 kW, elle est plutôt d'environ 80 kW, voire moins.
En cours de charge, la batterie va chauffer et, selon sa température initiale, cet échauffement supplémentaire devient dangereux ; la puissance délivrée par la borne est alors réduite à proportion de l'échauffement, en sorte que la durée de la recharge peut être notablement allongée, plus près de 40 minutes que des 20 minutes espérées.
On voit que la charge rapide est une donnée assez fantaisiste, qui dépend du régime charge-décharge accepté par la batterie considérée, de son état de santé ( SOH, State Of Health), de sa température au départ de la charge, et de son coefficient d'échauffement en fonction du courant, de la présence, ou pas, d'un dispositif de refroidissement actif pendant la charge.
En sorte que selon l'origine de la batterie, ses spécifications en termes de régime de charge-décharge ( 2 C, 3 C, 4 C,…), son état de santé ( SOH ), son coefficient d'échauffement, la présence ou pas d'un refroidissement externe, une recharge rapide pourra durer entre 5 et 45 minutes.
( Les 5 minutes sont obtenues avec une excellente batterie possédant un très bon SOH , compatible avec un régime 4 C, et branchée sur une borne de 250 W ).
Il est donc extrêmement important de vérifier le « curriculum vitae » de la batterie avant de signer pour un achat...
Sachant que le prix sera en rapport avec les spécifications de la batterie*.
*( Un prix alléchant peut être associé à une batterie dont les spécifications sont bas de gamme... )
Si on ne peut pas avoir l'autonomie idéale, au moins essayons d'avoir la charge la plus rapide possible.
( D'où l'intérêt de bien lire les spécifications...)
Cette course à la performance des batteries peut être une incitation à différer un achat éventuel, sachant que la prochaine version du modèle convoité sera équipée d'une batterie permettant une meilleure autonomie, une puissance plus élevée, un temps de recharge plus court, et parfois un prix inférieur !
( Les média qui parlent un peu d'automobile électrique se focalisent sur ce problème d'autonomie et donc de batterie. Et chacun d'annoncer la sortie prochaine ( ? ) d'une nouvelle batterie qui résoudra tous les problèmes et coûtera moins cher.
A force de parler de la merveilleuse batterie que nous aurons en 2030, on oublie un peu que les voitures commercialisées aujourd'hui sont équipées de batteries d'aujourd'hui qui font ce qu'elles peuvent avec les technologies existantes ).
L'avenir de la voiture électrique n'est pas écrit dans le marbre. Il dépendra de la manière dont seront résolus, ou pas, les problèmes d'autonomie, de charge rapide, et de coût.