Eoliennes contre Nucléaire, les chiffres ont-ils encore un sens ?
18 Février 2023
La transition énergétique nous impose une révision complète de notre système de production et/ou d'approvisionnement énergétique.
Le délai imparti est court puisque la SNBC ( Stratégie Nationale Bas Carbone ) a fixé à 2050 l'échéance souhaitable au terme de laquelle la transition devrait être proche de sa finalisation.
( Stratégie zéro carbone ).
Trente ans pour changer le système énergétique mondial est un délai très court, certains diraient même irréaliste .
S'agissant essentiellement de remplacer les sources fossiles ( Pétrole, Gaz naturel, Charbon) par des sources décarbonées, le choix est relativement simple puisqu'il doit se limiter à des solutions déjà disponibles aujourd'hui, compte tenu du délai très court qui nous est imparti.
Par définition ces sources devront avoir comme caractéristiques principales d'être décarbonées ou à carbone recyclable.
Pour le panier de la ménagère nous devons donc choisir parmi l'éolien, le solaire, l'hydraulique, la biomasse, la géothermie, et le nucléaire.
Toutes choses déjà bien connues et utilisées depuis des lustres, mais avec des hauts et des bas*.
* ( Un nucléaire français menacé de bannissement par différents gouvernements, des biocarburants pas assez verts, une géothermie anecdotique, une hydraulique stagnante, un Biogaz contesté, un Solaire moyennement sollicité, et un Eolien impopulaire et plombé par son intermittence...).
Il faudra donc faire un grand ménage pour trier tout çà et en faire une équipe cohérente capable d'efficacité. Les joueurs sont là, mais il manque l'entraîneur...
Ce choix ( Ce tri ) est rendu extrêmement difficile, voire confus, par deux clauses subsidiaires relatives au caractère renouvelable ou non de la source considérée, et à son impact sur les autres activités humaines.
Ceci concerne d'une part le Nucléaire, dont le caractère renouvelable est contesté* par certains membre de l'Union Européenne, et d'autre part la Biomasse, suspectée de contrecarrer le développement de certaines activités humaines.
*( le nucléaire disponible aujourd'hui n'est effectivement pas renouvelable puisqu'il utilise une ressource minière elle-même non renouvelable ( minerai d'Uranium ), et dont les réserves identifiées sont limitées. Mais ses partisans estiment que cette technologie permettra de préparer la future génération nucléaire dont l'objectif est de surmonter ce problème et de « garantir » une « durée de vie » considérablement augmentée.
Dans l'hypothèse où ces deux sources d'énergie seraient écartées, les sources restantes ( Eolien, Solaire, Hydraulique, Géothermie ) seraient alors censées remplacer les fossiles à elles seules, sachant que l'Eolien et le Solaire sont des sources intermittentes, et que l'hydraulique ne pourra pas à lui seul remplir les deux fonctions de production et de stockage de compensation de l'intermittence des deux premières.
La Géothermie n'étant envisageable que localement et pour des cas particuliers ( clusters ).
Personne n'imagine sérieusement remplacer les colossales quantités d'énergie exigées par notre société moderne avec seulement le vent, le soleil et l'hydraulique. Nous serions donc dans une impasse.
L'hypothèse d'un grand renoncement énergétique, avec la décroissance associée, n'est pas non plus envisagée pour des raisons évidentes.
Heureusement le bon sens a prévalu et une formulation convenable a été trouvée par Bruxelles pour « admettre » le Nucléaire à la table européenne des financements de bon aloi.
En contre-partie, disent les mauvaises langues, l'Allemagne a obtenu le classement du Gaz naturel dans la taxonomie verte, arguant de son intérêt dans la perspective du développement du Biogaz qui, lui, serait effectivement vert, enfin presque.
De cette controverse, auprès de laquelle celle de Valladolid n'est qu'une querelle de clochers, est issu un classement multicolore des sources d'énergie qui vaut le détour.
(D'aucuns estiment que cette taxonomie verte ressemble de plus en plus à une auberge espagnole, mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse...)
Les acteurs concernés ont enfin pris conscience que la stratégie qui consiste à brûler ses vaisseaux ( Nucléaire et Gaz naturel ) avant de s'assurer du succès de la transition vers les renouvelables, aurait constitué un risque dont l'Europe n'a vraiment pas besoin actuellement.
La France pourra donc continuer à produire de l'électricité nucléaire...et les allemands à compenser l'intermittence de leurs éoliennes avec des centrales à gaz.
( Reste maintenant à trouver le gaz ...)
Beaucoup de bruit dans Landerneau...
En France, La construction de la nouvelles série de réacteurs EPR2 va donc pouvoir commencer; les premiers seront édifiés à Penly. Ces nouveaux réacteurs seront destinés à remplacer une douzaine de « vieux » REP et à maintenir la production au niveau requis par les besoins de 2050.
( Besoins qui ne sont d'ailleurs pas clairement définis, car d'ici là il peut se passer bien des choses...)
La SNBC française prévoit cependant pour 2050 un besoin annuel total d'énergie de 930 TWh, dont 60% environ d'électricité ( 550 TWh ).
Les 40% restant pour les besoins non électriques, seront pris en charge par la Biomasse avec un reliquat de fossiles ( essentiellement du gaz , du pétrole pour l'industrie chimique, des biocarburants et du bois).
L'électricité sera donc produite par la panoplie actuelle bien connue: Nucléaire, Hydraulique, Eolien, Solaire, Biomasse et un peu de Géothermie.
Rien de bien nouveau donc, c'est la reconduction de l'équipe actuelle, mais avec une redistribution des rôles, et beaucoup d'investissements.
En effet il s'agit de répartir les rôles du nucléaire d'une part, et des autres sources citées ci-dessus d'autre part.
Plusieurs facteurs influenceront cette répartition dans les prochaines décennies:
D'une part les chiffres de l'évolution du besoin énergétique total en 2050 et de l'électricité en particulier, ne sont pas gravés dans le marbre ; les prévisions de la SNBC montrent une faible croissance de la demande électrique, 550 TWh en 2050 contre 470 TWh aujourd'hui, soit + 17% seulement sur 27 ans. Cette prévision, optimiste malgré l'électrification de nombreuses applications nouvelles, peut s'avérer trop optimiste.
L'objectif de production électrique serait alors à revoir à la hausse.
( Les prévisions de la SNBC postulent un très fort impact du programme de sobriété énergétique qui compenserait la nouvelle demande des applications converties à l'électricité .Ce « très fort » impact peut également ne pas être au rendez-vous...).
D'autre part, les délais de construction du nouveau parc nucléaire peuvent s'avérer plus longs que prévus ( On a déjà vu çà...) et les problème liés à l'intermittence des renouvelables plus difficiles à maîtriser.
( A quoi bon fabriquer des GW électriques impossibles à stocker ? )
( Le recours à des centrales à Gaz naturel pour compenser l'intermittence des renouvelables n'est pas acceptable dans un projet dont le but est de se débarrasser des fossiles!!!. Quant à la filière Hydrogène vert, elle est entièrement à élaborer et donc non disponible industriellement avant plusieurs décennies ).
Ces facteurs ne sont pas sous contrôle, ce qui rend toute répartition à long terme aujourd'hui peu fiable.
Mais un autre point important est à considérer s'agissant de la répartition entre Nucléaire et renouvelables, particulièrement lorsque l'éolien est proposé en complément ou en alternative au Nucléaire comme solution écologique et durable.
Pour produire une quantité annuelle d'énergie électrique de 550 TWh ( objectif 2050 de la SNBC ) , il faudrait un parc de 46 réacteurs EPR2 répartis sur une vingtaine de sites, qui pourraient être les sites actuels réaménagés.
( Par exemple les deux premiers EPR2 seront construits sur le site existant de Penly ).
Pour obtenir la même production en éolien, il faudrait 20 000 éoliennes offshore de 8 MW, adossées à des installations de stockage de compensation de l'intermittence.
Il n'est même pas envisageable d'envahir nos littoraux avec une telle débauche de tours Eiffel.
Et par ailleurs les installations de stockage indispensables ne sont même pas envisagées dans les projets actuels de parcs éoliens. Il faudrait donc faire appel à un parc de centrales à Gaz pour remplir la fonction de relais ( Et quel gaz ? ).
Le projet français de production éolienne consiste en 50 Parcs de 500 MW chacun, en offshore posé, comprenant au total 4 000 éoliennes de 6 MW.
Si ce projet arrive à son terme, sa production annuelle sera de 90 TWh, soit 16 % de la demande électrique prévue en 2050, à condition de développer en parallèle les installations de compensation de l'intermittence, qui ne sont même pas identifiées aujourd'hui.
( Aujourd'hui cette fonction est confiée à des centrales à gaz, lequel gaz vient d'être admis dans la confrérie de la taxonomie verte européenne.
Chassez les fossiles par la porte, ils reviennent par la fenêtre...).
On voit que la répartition entre Nucléaire et Renouvelables n'est pas évidente et que l'emprise territoriale de l'éolien offshore sera un obstacle majeur, au moins aussi important que l'intermittence de la production.
Il faut donc choisir entre un parc nucléaire construit sur une vingtaine de sites déjà existants, ou plusieurs dizaines de milliers de tours Eiffel électriques associées à quelques centaines de centrales à gaz.
On dit que « Les chiffres parlent d'eux-mêmes ».
Mais le débat sur la transition énergétique est essentiellement politique, sphère au sein de laquelle la rhétorique tient lieu d'outil de conviction, et l'on sait que la rhétorique et les nombres n'ont jamais fait bon ménage.
« Auréolés d’un prestige scientifique d’autant plus grand que les acteurs de l’énonciation ne possèdent pas la maîtrise des disciplines dans lesquelles ils s’inscrivent, les chiffres ont alors vocation à se mettre au service de la dimension rhétorique et argumentative des discours politiques. De chiffres-grandeurs, ils accèdent alors au statut de chiffres-valeurs ».
( in « La rhétorique des chiffres », Le langage des chiffres en politique, Paul Bacot, Dominique DESMARCHELIER et Sylvianne Rémi-Giraud )
On ne peut pas mieux dire...
Où, plus simplement, « On est mal barrés... ».