22 Juin 2015
L’ire des antinucléaires se focalise sur l’EPR de Flamanville qui, il faut bien le reconnaître, y met beaucoup du sien.
Il y a peu c’était la cuve elle-même et son couvercle qui faisaient la une des gazettes.
Louons au passage cette transparence nouvelle qui permet au grand public d’être informé quasiment en temps réel des aléas du chantier, il n’en fut pas toujours ainsi dans le passé. Faut-il en remercier Internet ou bien faut-il saluer une réelle volonté de communication sur la chose nucléaire?
Probablement un peu les deux.
Aujourd’hui les annonces alarmistes concernent certaine soupape de sureté du pressuriseur qui manifesterait une volonté d’indépendance de très mauvais aloi dans un milieu où tout doit être sous contrôle et se comporter selon un cahier des charges rigoureux.
Lancer une alerte, c’est bien. Mais condamner avant d’avoir instruit le dossier, c’est de la justice expéditive.
Il paraît qu’il y aurait beaucoup à dire sur les fameuses soupapes, mais assez curieusement les média n’en disent rien et se bornent à proférer une condamnation de l'ensemble de la filière nucléaire.
Il est vrai que la suppression des juges d’instruction est dans l’air du temps, du moins chez certains…
Il nous a paru nécessaire de rectifier cette négligence en tentant d’apporter quelques éclaircissements sur ces fameuse soupapes dont les soubresauts sont pain béni pour les antinucléaires, et certains autres qui ne sont pas mécontents d’avoir du grain à moudre pour régler quelques comptes entre gentlemen ( et gentlewoman) de l’énergie en général et du nucléaire en particulier. De quoi également fournir quelque arguments supplémentaires au dossier de passation de pouvoir de AREVA à EDF, s’il en était besoin.
Il faut dire que ces soupapes, ou leurs sœurs, sont à l'origine de l'accident de three mile Island qui a marqué les esprits et a été à l'origine d'une prise de conscience du milieu du nucléaire civil qui, jusque là, baignait dans la tranquille certitude de maîtriser tous les risques possibles.
Tchernobyl et Fukushima ont achevé le travail de prise de conscience entamé par Three Mile Island (TMI) ; aujourd'hui la communication autour de la sécurité nucléaire se fait sur un mode plus modeste, chat échaudé craint l'eau froide.
Certains accidents, autrefois considérés impossibles, sont maintenant pris en compte dans la conception des installations électronucléaires.
Par son statut exemplaire, l'affaire de TMI vaut d'être contée.
A la suite d'un banal incident de conduite d'un réacteur, une soupape de dépressurisation fut ouverte, opération conforme à la procédure et qui permet de gérer une surpression passagère en évacuant un peu de fluide primaire dans un réservoir ad-hoc, le tout à l'intérieur de l'enceinte de confinement. A la suite de quoi la soupape reçoit un ordre de fermeture auquel elle est censée obéir.
En l'occurrence, le voyant de confirmation de l'ordre de fermeture s'est bien allumé, mais la soupape est restée ouverte, entraînant la vidange du circuit primaire ! Le responsable de la conduite du réacteur, persuadé que la soupape était bien refermée, a été induit en erreur pour la suite des procédures, ce qui à conduit à une perte de réfrigérant primaire suivi de la fusion partielle du cœur, le pire qui puisse arriver.
Il faut dire qu'en plus le système de vérification du niveau de réfrigérant primaire dans le pressuriseur laissait à désirer, accentuant la confusion du contrôleur impuissant à éviter la catastrophe.
Cet accident, le premier du genre, a eu l'effet d'un électrochoc. Des dizaines de milliers de personnes ont été évacuées, heureusement pour rien puisque les dégâts sont restés à l'intérieur de l'enceinte de confinement.
On a du déplorer tout de même quelques dizaines de fausses couches déclenchées par la panique.
Cette affaire a permis de prendre conscience du rôle clé de ces fameuses soupapes dans la chaîne de sureté du fonctionnement d'un réacteur.
La façon de penser la sécurité a été remise en question et les procédures actuelles et l'architecture des composants sont censés garantir un niveau de sureté accru.
Par exemple il n'est plus acceptable de se contenter de vérifier qu'un ordre a bien été transmis, mais on exige de recevoir un signal confirmant que l'ordre a bien été physiquement exécuté ( Ces deux conditions n'étaient pas remplies à Three Mile Island).
Il ne suffit pas de savoir que l'ordre de fermer une soupape a bien été envoyé, il faut pouvoir constater que la soupape s'est effectivement mécaniquement fermée.
Il est assez curieux que cette règle, bien connue et appliquée depuis des lustres dans l'industrie, n'ait pas été intégrée par principe au sein de certains matériels nucléaires.
N’ayant pas la science infuse, nous puiseront les éléments du dossier à la source, c’est-à-dire dans le rapport de réunion du 13 Février 2015 à laquelle participait ASN/DEP - ASN/DCN -IRSN sur le sujet des soupapes de sureté du pressuriseur équipant le réacteur EPR-FA3, celui de Flamanville précisément.
Rapport accessible ici:
http://sciences.blogs.liberation.fr/files/soupapes-pr%C3%A9sentation-irsn.pdf
Voir également:
http://www.edf.com/html/epr/rps/chap05/chap05.pdf
Sans entrer dans des détails qui nous entraîneraient trop loin, il est bon de décrire brièvement les circonstances de l’affaire:
La chaleur dégagée par la réaction nucléaire dans la chaudière du réacteur (La cuve) est évacuée par un fluide caloporteur qui est de l’eau en phase liquide. Cette eau est à une pression de # 150 kg et une température de # 300 °C pour un débit équivalent à celui d’un petit cours d’eau, débit entretenu par d’énormes pompes.
Cette chaleur est transmise aux générateurs de vapeur grâce à des échangeurs, puis ladite vapeur actionne une turbine couplée à un alternateur qui fournit de l’électricité.
L’énergie transmise par le fluide caloporteur est proportionnelle au produit du débit par la température du fluide ( pour faire simple). Pour cela il faut conjuguer un débit très élevé, équivalent à celui d’un petit fleuve, et une température élevée, ici # 300 °C.
La pression doit être maintenue au-dessus de la valeur de transition de phase car il est essentiel que l’eau reste en phase liquide en toutes circonstances, sinon l’apparition de bulles nuirait au refroidissement du combustible et conduirait à un accident majeur par surchauffe et fusion du cœur.
C’est le rôle d’un organe appelé pressuriseur, que l’on pourrait assimiler vaguement au vase d’expansion d’une automobile, mais en beaucoup plus sophistiqué comme on peut s’en douter.
Ce « vase d’expansion » est un énorme réservoir de 75 m3 en acier, pour une longueur de 14m, un diamètre de 2,80 m, et un poids de 225 tonnes en charge.
Il joue un rôle majeur dans le bon fonctionnement de l’ensemble. Il remplit plusieurs fonctions:
- Il assure la protection du circuit primaire contre les surpressions grâce à des soupapes de sureté.
- Il absorbe les variation de volume liées aux variations de température du fluide.
- Il assure le maintien du fluide en phase liquide grâce au contrôle de l’équilibre entre phase liquide et phase gazeuse réalisé à l’intérieur du pressuriseur. Pour cela le liquide peut être chauffé par des résistances, comme un cumulus, et la phase gazeuse peut recevoir des pulvérisations d’eau « froide » pour l’effet contraire.
Sur les réacteurs REP du parc existant (58 réacteurs) La sécurité du système comporte trois lignes de protection contre les surpressions et une ligne pour les vannes de dépressurisation en cas d’accident grave, chaque dispositif étant raccordé au pressuriseur par une tubulure propre.
Les trois soupapes de sécurité ont une capacité de décharge de 300 Tonnes/h de vapeur saturée à 176 bar.
Elles sont tarées à des valeurs de seuils différentes, correspondant à des incidents de surpression de gravités différentes.
Les vannes de dépressurisation en cas d’accident grave ont une capacité de 900 Tonnes/h de vapeur saturée à 176 bar.
Sur le parc actuel de réacteurs REP ces soupapes sont fournies par la société WEIR Power & Industrials ( Robinetterie SEBIM) avec des résultats satisfaisants et un retour sur expérience (REX) très important.
Le réacteur EPR ( European Pressurized water Reactor) est comme son nom l'indique une collaboration européenne, essentiellement franco-allemande. Il était donc logique d'utiliser des composants européens dans la mesure du possible.
SEMPELL AG ( Société allemande) a donc été retenue pour la fourniture des soupapes de sécurité. Cette société a fourni les soupapes des réacteurs du parc allemand et possède donc la compétence et l'expérience requise.
Par contre, AREVA ayant imposé une modification du design de la soupape, le retour d'expérience acquis sur le modèle initial n'est pas utilisable. Une requalification est donc requise.
C'est pourquoi l'ASN s'est penchée avec attention sur ce composant dont dépend la sécurité du réacteur.
Le compte rendu de la réunion citée ci-dessus contient essentiellement une comparaison des deux concepts de soupape, celui de SEBIM et celui de SEMPELL.
Les différences y sont détaillées et le spécialiste pourra se faire son opinion.
Les principales observations de l'IRSN relativement au concept SEMPELL sont les suivantes:
"
- Suite à la modification technologique demandée par AREVA, le retour d'expérience (REX) allemand n'est pas applicable.
- AREVA ne possède pas d'expertise dans ce domaine.
- Le concept SEMPELL est complexe et comporte un grand nombre de joints et de liaisons vissées.
- Le système de ressort à rondelles Belleville provoque un fonctionnement saccadé.
- La fenêtre d'ouverture de la soupape SEMPELL est très large ( 33 bar) contre 6 bar pour la soupape SEBIM.
Les essais de qualification et de robustesse ont conduit aux conclusions suivante de l'IRSN:
- Risques de fuites de fluide primaire.
- Risques d'échec à l'ouverture et/ou à la refermeture ( observés au cours des essais).
- Risques d'ouverture intempestive.
- Risques d'ouverture prématurée.
- Risques d'ouverture retardée avec risque de dépassement de la pression de seuil.
- Modes de défaillance multiples.
- Il existe des états possibles du pilote qui génèrent un dysfonctionnement de la soupape principale.
Les essais de qualification sont non probants à l'heure actuelle.
"
Il apparaît donc que le concept SEMPELL modifié est pour le moins suspecté de fonctionnement peu sur, en tous cas pas assez sur pour recevoir une qualification sur l'EPR.
Les "anomalies" notées par l'IRSN révèlent des lacunes dans la conception du produit et dans les procédures de qualification usine.
Il paraît difficile, à partir d'un tel constat de l'IRSN, de trouver une argumentation justifiant de passer outre et de déclarer le produit "bon pour le service" .
A tout le moins un longue phase de mise au point technologique s'impose pour améliorer le fonctionnement du système et le qualifier.
L'autre solution pourrait être le retour au concept classique éprouvé sur le parc actuel…