11 Avril 2016
Dans les installations domestiques actuelles, équipées de compteurs bleus électroniques ou de vieux compteurs électromécaniques, il n'y a pas d'interrupteur à l'intérieur du compteur, ni manuel, ni télécommandé.
Et personne ne surveille la courbe de charge…
La coupure générale du courant s'effectue par l'interrupteur manuel qui est intégré avec le disjoncteur différentiel général situé en dehors du compteur.
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Ce disjoncteur général n'est pas électronique. Il a un système de déclenchement thermique doublé d'un système magnétique.
Son seuil de déclenchement est réglable par un agent ERDF en fonction de l'abonnement souscrit, et il est plombé.
Comme tout disjoncteur de ce type, le déclenchement se produit au bout d'un temps qui dépend de la surcharge en courant et de sa durée.
Compte tenu des dispersions de fabrication, le seuil de déclenchement min est compris entre 1,15 et 1,45 fois la valeur nominale affichée. Pour un seuil fixé à 90 A par exemple, le déclenchement en cas de surcharge de longue durée se produira entre 103,5 A et 130,5 A , soit 117 +/- 13,5 A.
Son rôle principal est d'assurer la sécurité des usagers et de l'installation.
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Prenons l'exemple d'une installation avec un abonnement à 18 KVA .
Dans les conditions nominales de tension à 230 V, le courant max alloué contractuellement est donc de 78 A dans une charge résistive, soit 18 KW.
Pour un abonnement de 18 KVA, le disjoncteur EDF est réglé en principe à 90 A. Cette marge permet d'éviter les coupures intempestives qui seraient liées aux variations de tension secteur, et aux dispersions de réglage du disjoncteur lui-même, et à celles des appareils connectés.
Ce disjoncteur va donc déclencher pour une valeur de courant
Comprise entre 103,5 A et 130,5 A, sur une surcharge de longue durée.
(Une précision plus grande n'était pas nécessaire à l'époque de l'établissement des spécifications, mais cela va changer avec la transition énergétique).
L'abonné pourra donc soutirer en permanence plus de 100 A sans provoquer de coupure, ce qui correspond à une puissance supérieure à 23 KW sur charge résistive, alors que l'abonnement souscrit n'est que de 18 KVA.
Ce "bonus" de plus de 28% en faveur de l'abonné, dû au manque de précision de l'électromécanique, fait l'affaire de bien des clients qui peuvent ainsi disposer d'une puissance plus importante que ce qu'autorise normalement leur abonnement.
Ceux-là risquent d'avoir une surprise lors du passage au compteur Linky.
Voyons pourquoi.
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Lors du remplacement de l'ancien compteur, le disjoncteur EDF est conservé, puisque sa présence est obligatoire selon la norme.
Mais cette fois, grâce à (ou à cause de) l'enregistrement des données par le nouveau compteur, la courbe de charge de l'installation ( Puissance consommée en fonction du temps) sera connue de ERDF, quasiment en temps réel puisque le pas temporel peut descendre à 10 minutes.
(La CRE a recommandé un pas de 30 minutes, mais cela peut être négocié par EDF).
Le gestionnaire de réseau sera donc averti lorsqu'il se produira des dépassements de puissance fréquents et de durées significatives chez Monsieur Untel.
Dans ce cas ce client sera "invité à", ou plutôt "mis en demeure de" modifier son installation pour réduire la puissance de pointe, ce qui peut être obtenu en utilisant des appareils moins gourmands, ou bien en installant un gestionnaire d'énergie pour "lisser" la demande de puissance si c'est possible.
Il peut également être amené à corriger le cosinus phi de son installation s'il y a lieu.
Dans un deuxième temps, si le client n'a rien fait pour corriger l'anomalie, ERDF peut à distance modifier l'abonnement pour le passer à une tranche supérieure, ce qui évidemment modifie la tarification.
La menace de coupure n'intervient qu'en dernier ressort, et ne peut être mise en œuvre qu'après une procédure compliquée et plusieurs avertissements.
Dans l'exemple ci-dessus, l'abonné se verrait automatiquement passé de 18 KVA à 24 KVA, avec les conséquences financières associées.
(De 18 KVA à 24 KVA l'abonnement passe de 266 euro à 560 euro et le prix du kWh est inchangé).
Certains considèrent que ce procédé est une escroquerie.
Il s'agit de savoir si une tolérance historique accordée aux clients pour des raisons technologiques doit être pérennisée au prétexte qu'elle est historique.
Il ne nous appartient évidemment pas de prendre position.
Tout au plus peut-on conseiller aux futurs "bénéficiaires" du Linky de faire analyser leur installation par un homme de l'art, afin de la situer par rapport à ce problème et éventuellement "faire quelque chose" s'il y a menace de conflit.
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Il va se soi que ce problème de dépassement significatif de puissance ne concerne qu'une minorité d'abonnés, la plupart de bonne foi.
(Dans son rapport sur l'expérimentation Linky, la CRE signale tout de même que de tels problèmes ont été rencontrés dans 11% des cas).
Le compteur bleu, s'il permet d'afficher le courant à un instant donné, ne dispose d'aucune alarme pour prévenir l'abonné d'un dépassement de puissance.
Une telle situation se produit généralement par l'adjonction cumulative d'appareils électriques supplémentaires à une installation dimensionnée au départ pour des besoins qui ont évolué dans le temps.
La très grande majorité des clients ne rencontreront jamais ce problème, contrairement à ce qui est annoncé sur les réseaux sociaux.
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Il se peut aussi que le fournisseur d'énergie fasse preuve, au moins au début, d'une certaine tolérance, afin de ne pas aggraver la mauvaise réputation faite au nouveau compteur par la rumeur publique.
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La CRE (Commission de Régulation de l'Energie) affiche une position nuancée, comme on peut le voir dans l'extrait ci-dessous tiré du site cre.fr:
[Lettre l'information Octobre 2013]
["Le compteur Linky offre la même souplesse que les compteurs actuels en cas de dépassement de la puissance souscrite : il ne disjoncte pas plus fréquemment.
En revanche, l’expérimentation a montré des situations dans lesquelles le disjoncteur n’était pas réglé à la puissance souscrite. Cela a concerné 2 % de sites d’une puissance installée entre 3 kVA et 12 kVA et 11 % des sites d’une puissance installée entre 12 kVA et 36 kVA. Contrairement aux compteurs actuels, le compteur Linky intègre un interrupteur. La puissance de coupure sera donc toujours calée à la puissance souscrite contractuellement.
Pour les consommateurs qui demanderaient une modification de la puissance contractuelle à la suite de la pose d’un compteur Linky, la CRE a demandé, dans sa délibération du 7 juillet 2011, que la prestation de changement de puissance soit réalisée gratuitement par ERDF.
Il sera également possible d’ajuster plus finement la puissance souscrite à la réalité de sa consommation. Aujourd’hui, on ne peut régler son disjoncteur que par palier de puissance de 3 kVA. Le compteur Linky permettra des paliers par pas de 1 kVA."]
Fin de citation.
L'essentiel de cette prose reste quand même:
"La puissance de coupure sera donc toujours calée à la puissance souscrite contractuellement".
Comprenne qui pourra…
Il est probable que, selon la proportion de clients "piégés"" par le Linky, ERDF sera amené à lâcher du lest pour éviter une bronca des clients.
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Pour tenter de faire passer la pilule, il faut quand même rappeler que le souci numéro un de EDF est le pic de demande de puissance qui surcharge le réseau et oblige à maintenir des installations de production en surnombre.
La puissance moyenne consommée annuellement en France est de 60 GW.
( 60 GW x 8 760 Heures = 525 Téra Wattheures).
Les pics de demande de puissance peuvent monter jusqu'à 100 GW , ce qui représente une surcharge de 40 GW par rapport à la moyenne.
40 GW, c'est la puissance d'un parc de 47 centrales de 1000 MWe avec un facteur de charge de 85%.
Ou encore 63% de la puissance du parc nucléaire installé.
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L'énormité de ce "gaspillage" mérite que l'on y réfléchisse un peu.
D'autant plus que la situation ne fera que s'aggraver avec la montée en puissance des énergies éolienne et solaire, dont l'intermittence nécessitera encore plus de moyens de compensation.
Ce tableau permet au moins de comprendre la préoccupation de EDF pour tout ce qui a trait à la puissance que le réseau doit pouvoir supporter.
Il paraît donc légitime de demander au consommateur de participer à l'effort commun sans lequel il ne pourra pas y avoir de transition énergétique.
On ne peut, à la fois, exiger l'arrêt de centrales nucléaires, tout en revendiquant le droit imprescriptible de pomper à volonté n'importe quelle puissance sur le réseau…
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