28Avril 2012
Il paraît maintenant acquis que la première génération de voitures électriques produites en grandes séries sera équipée de batteries au Lithium. Plusieurs millions de véhicules électriques
circulent déjà sur la planète, préfigurant la tendance à long terme de l’abandon progressif des carburants fossiles.
C’est sous la forme hybride rechargeable ( PHEV pour «Plug in Hybrid Electric Vehicle » ) que les nouveaux véhicules vont se répandre, suivis plus tard par les EV, entièrement électriques. Ces
derniers resteront cantonnés aux usages citadins et péri urbains tant que le territoire ne sera pas équipé des infrastructures de rechargement ad-hoc, ce qui peut prendre une ou deux décennies.
La batterie au Lithium est actuellement la seule solution largement industrialisable capable de répondre aux besoins du marché automobile, même si son efficacité énergétique reste encore
perfectible.
D’autres solutions sont en cours d’évaluation ou même de pré-développement, comme la batterie Zinc-air ou la pile à combustible dont la version à Hydrogène satisfait parfaitement aux nécessités
écologiques. Des réalisations industrielles sont déjà commercialisées pour des applications spécifiques à poste fixe.
On peut penser que le Lithium occupera le terrain pendant une ou deux décennies, avant de partager le marché avec ces autres solutions faisant appel à d’autres technologies.
Le problème se pose donc de savoir où nous allons trouver ce Lithium, s’il y en aura pour tout le monde, et à quel prix.
La technologie de batterie Lithium-ion la plus adaptée au cahier des charges automobile est basée sur le composé Li M PO4 ( M pour métal), avec une préférence pour le Fer, soit Li Fe PO4, appelée
LFP.
Le composé LFP constitue environ 75% du poids de la batterie, le reste comportant l’anode, les connexions, l’électrolyte, les membranes, la boîte, et l’électronique de contrôle.
La masse molaire du LFP est de 158 g, dans lesquels le Lithium figure pour 7 g, soit 4,4% , ce qui est plutôt modeste.
Le stockage de l’électricité, et son déstockage, sont réalisés grâce à l’intercalation et la désintercalation des ions Lithium dans la structure cristalline du LFP. Chaque molécule de LFP
contribue donc en théorie à hauteur de la charge de un électron au bilan électrique (Un ion Lithium qui fait le va et vient entre la cathode et l’anode transporte avec lui une charge égale à
celle de un électron).
Il est alors facile de calculer l’efficacité énergétique théorique du LFP (Rendement électrochimique), il suffit de multiplier le nombre de molécules présentes dans un gramme de LFP par la charge
élémentaire.
On trouve 554 mWh /g, ou encore 170 mAh/g puisque la tension de cellule est de 3,3 Volt environ.
Mais cela vaut pour une masse de produit dont on peut exploiter toutes les possibilités de stockage du cristal.
En pratique le rendement d’intercalation/désintercalation dépend beaucoup de la structure du matériau LFP, qui elle-même est fonction de la méthode de préparation et de l’incorporation de
certains adjuvants.
La technologie actuelle industrialisable permet d’obtenir une efficacité énergétique de l’ordre de 130 mWh /g de LFP, soit environ 23% de la valeur théorique.
Note:
De nombreux laboratoires travaillent à l’amélioration de ce paramètre, notamment par le recours aux nanotechnologies pour la préparation du matériau LFP. Une efficacité supérieure à 50% est
envisageable à moyen terme ( 2015), comme le montrent les travaux du CEA.
Aujourd’hui, pour fabriquer une batterie de 24 KWh (par exemple comme celle de la Renault FLUENCE ZE), il faut donc 184 Kg de LFP avec une efficacité de 130 Wh/Kg, auxquels il faut ajouter
l’anode, l’électrolyte, le container, l’électronique de contrôle, et la connectique, ce qui nous amène à 250 Kg environ, dont 8 Kg de Lithium métal.
Pour une voiture hybride rechargeable, une batterie de 6 KWh est suffisante. La quantité de Lithium métal nécessaire est alors seulement de 2 Kg.
Pour connaître la quantité de Lithium nécessaire à l’application automobile, il faut considérer plusieurs étapes, qui sont autant d’hypothèses de travail:
Une première période d’apprentissage, d’une dizaine d’années, pendant laquelle les PHEV feront la grande majorité du marché. Si l’on estime la pénétration du parc à 5% à la fin de cette première
période ( 2025 ?), environ 40 millions de véhicules seraient des hybrides rechargeables, sur un parc estimé à 800 Millions de véhicules.
A raison de 2 Kg de Lithium métal par batterie de 6 KWh , 80 000 tonnes de Lithium métal seront donc nécessaires pour cette première période (qui viendront s’ajouter aux besoins des autres
applications non automobiles).
Une seconde période, de deux ou trois décennies, qui verra la croissance du marché et son partage entre PHEV et EV. Lorsque 50% du parc sera équipé ( 400 Millions de véhicules), 2 Millions de
tonnes de Lithium métal auront été utilisées ( Horizon 2040-2050).
Une troisième période pourrait voir l’introduction de la pile à combustible (ou de tout autre dispositif nouveau), susceptible de prendre une part importante du marché, réduisant d’autant la
pression sur la demande de Lithium.
On peut, sur ces bases fragiles, estimer le besoin en Lithium métal à environ 4 Millions de tonnes pour équiper la presque totalité du parc, sur une période de quatre à cinq décennies (Horizon
2050-2060).
Durant cette période, de grands progrès sont attendus dans la fabrication des batteries, et il n’est pas déraisonnable d’envisager à court-moyen terme un doublement de l’efficacité énergétique
qui passerait de 23% de la valeur théorique à 50%, ce qui diviserait par deux les besoins en Lithium (ou multiplierait par deux l’autonomie des véhicules).
Notons au passage que le Lithium n’est pas un combustible, il ne disparaît pas au cours du fonctionnement de la batterie, il est recyclable pour fabriquer d’autres batteries .
Une fois l’ensemble des véhicules équipés, c’est le même stock qui tourne, le Lithium des batteries usagées étant recyclé pour équiper les véhicules neufs. La consommation nouvelle de Lithium
étant destinée à alimenter la croissance du stock.
Un peu comme l’acier des vieilles voitures qui est réutilisé pour faire des voitures neuves.
On peut donc estimer que 3 à 4 millions de tonnes de Lithium métal seront
« immobilisées » dans les batteries d’un parc automobile de 1 Milliard de véhicules et constitueront un stock tournant recyclable.
Ce stock devra être augmenté de 40 à 50 000 Tonnes de Lithium métal annuellement pour suivre l’accroissement du parc.
Ces chiffres sont à minorer en fonction de l’importance des parts de marché prises par les nouvelles technologies comme la pile à combustible, ou d’autres technologies de batteries, et des
améliorations apportées à l’efficacité énergétique des batteries Li-ion.
Face à ce besoin, quelles sont les réserves disponibles ?
Aujourd’hui ces réserves ne sont pas identifiées de manière exhaustive. Les quelques sites exploités suffisent à répondre aux besoins actuels des outils de communication mobiles et des appareils
électroniques divers tels que PC, appareils photos, tablettes, et de l’outillage portatif .
Mais la perspective de l’électrification du marché automobile, et des transports en général, a suscité une activité intense de recherche de nouveaux sites et d’identification des réserves
possibles de Lithium.
Selon diverses estimations les réserves terrestres pourraient varier entre 50 et plusieurs centaines de millions de tonnes de produit de base ( carbonate et/ou chlorure de Lithium), soit entre 10
millions et plusieurs dizaines de millions de tonnes de Lithium métal. Le jackpot pour certains pays d’Amérique du Sud…
Le Lithium est également présent dans les océans . Mais l’extraction est plus difficile, donc plus chère.
Les réserves terrestres annoncées dans l’euphorie par les nouveaux futurs gagnants du loto sont à considérer avec circonspection, eu égard au caractère stratégique de la chose. Le lecteur averti
aura compris que les chiffres produits sont à peu près aussi crédibles que ceux annoncés par les émirs (les vrais) pour les réserves de pétrole du Moyen-Orient…
Le passage du Pétrole au Lithium sous-entend de profonds bouleversements géopolitiques qui ne seront pas exempts de frictions entre les protagonistes du monde de l’énergie qui craignent de voir
dépérir leur poule aux œufs d’or.
Il y a de la recherche d’indépendance énergétique dans l’air, et le fait que l’essentiel des réserves accessibles soit dans le continent Sud-Américain fait grincer quelques dents. D’aucuns
craignent l’émergence d’un nouveau Moyen-Orient et s’empressent déjà auprès des futurs émirs afin de gagner les faveurs de l’OPEL ( Organisation des Pays Exportateurs de Lithium) qui ne manquera
pas d’être créée sous peu. Quant aux Etats qui font aujourd’hui danser la planète au son du baril, ils craignent de se voir retirer leur bâton de commandement, ce qui les exposerait à toutes
sortes de désagréments.
Tout ceci aura des répercussions directes sur le prix du produit, qui est déjà fortement orienté à la hausse.
Le matériau de base qui entre dans la fabrication du LFP est principalement le carbonate de Lithium Li2 CO3, dont le Kilogramme se négocie autour de 7 $, alors qu’il ne valait que 1 $ en 2005 .
Il n’intervient donc encore que pour une faible part dans le coût de la batterie, mais ceci pourrait changer dans le futur.
Le concept d’épuisement des réserves, au sens de l’épuisement du pétrole, est ici dépourvu de sens puisque le matériau utilisé n’est pas détruit mais recyclé et réutilisable indéfiniment. Le
stock est simplement déplacé de la Terre vers les batteries, où il pourra être récupéré lorsque les batteries au Lithium seront remplacées par des piles à hydrogène ou une autre sorte de
batteries.
Les choses se compliquent quelque peu si l’on considère un autre besoin de stockage d’énergie électrique, en relation avec la croissance des énergies nouvelles. En effet, le solaire et l’éolien
sont des sources intermittentes, qui doivent alimenter un réseau sur lequel la demande d’énergie est également variable. Il est donc nécessaire de prévoir un tampon capable de stocker l’énergie
quand l’offre dépasse la demande, et de la restituer dans le cas contraire. Aujourd’hui les énergies solaire et éolienne ne représentent qu’une très faible part de la production, leur
intermittence est peu gênante et facilement gérée car l’essentiel de la production est assurée par des centrales thermiques dont la puissance peut être ajustée à la demande. Mais dans l’hypothèse
d’une prépondérance des énergies nouvelles ( au-delà de 2030 ?) il devient indispensable de disposer d’un système de stockage de masse.
De tels systèmes sont à l’étude, certains déjà opérationnels à petite ou moyenne échelle. Plusieurs voies sont expérimentées comme le stockage direct en batteries, ou sous forme de chaleur dans
des matériaux à changement de phase, ou dans des volants d’inertie, ou sous forme d’Hydrogène après électrolyse, etc…Sans oublier le pompage-turbinage déjà en service.
Le stockage en batteries Lithium-ion est une solution parmi d’autres, qui a le mérite d’être disponible aujourd’hui. Sa mise en œuvre pourrait aisément doubler ou tripler la demande de Lithium,
avec cette fois des conséquences sur le marché, pouvant aller jusqu’à de réelles difficultés d’approvisionnement, si les réserves annoncées ne sont pas au rendez-vous.
Les obstacles qui pourraient freiner le développement de la voiture électrique sont en fait à rechercher ailleurs:
- Le pétrole, dont on annonce périodiquement l’imminente disparition, est toujours disponible sans restriction à la pompe, à un coût certes élevé mais encore gérable. Les conditions d’un
basculement imposé vers l’électricité (prix excessif du pétrole et/ou restrictions ) ne sont pas encore d’actualité, et les prévisions dans ce domaine sont impossibles.
A moins que les rumeurs permanentes de conflit au Moyen-Orient ne trouvent une confirmation prochaine…
- Les politiques de lutte contre le CO2 sont décidées en tenant compte de la nécessité de préserver le secteur de l’énergie et de la construction automobile. Les règlementations sur les émissions
de CO2 sont donc établies en tenant compte des progrès raisonnablement possibles des technologies actuelles. Les seuils imposés ne sont alors pas suffisamment dissuasifs.
De plus, toujours pour éviter des perturbations préjudiciables à l’économie du secteur, ces seuils ne sont applicables qu’aux véhicules récents.
Rien donc là non plus qui soit de nature à précipiter les acheteurs vers l’électrique.
- Le coût des véhicules hybrides rechargeables ( les seuls réellement utilisables en l’absence d’infrastructures de rechargement) est nettement plus élevé que leurs homologues classiques. Ce
surcoût est normal s’agissant d’une technologie nouvelle et d’un marché naissant, mais l’acheteur hésite à sauter le pas car le différentiel de prix n’est pas compensé par l’économie de carburant
promise, et la politique de prix du KWh de rechargement reste une inconnue, notamment la taxation. Sans parler de l’absence de bornes publiques de rechargement dont même les PHEV ont grand
besoin.
- On pourrait cependant penser que les acheteurs soucieux de la protection de l’environnement choisiraient sans hésiter le véhicule électrique, mais ces acheteurs n’ignorent pas que l’électricité
est aujourd’hui très majoritairement produite par des centrales thermiques émettrices de CO2, ou par des réacteurs nucléaires, émetteurs de substances encore moins recommandables. Rouler
électrique ne change donc rien au volume de CO2 émis globalement. Ces acheteurs avisés savent par ailleurs que les projets de capture et séquestration du carbone n’aboutiront à des résultats
concrets que dans une ou deux décennies.
- Les véhicules électriques PHEV sont équipés d’une batterie plus modeste que celle des EV, 6 KWh contre 24 Kwh en EV. Cette batterie de 6 KWh reste un composant onéreux dont la durée de vie
n’excède pas quatre ou cinq ans. Le coût de son remplacement est à ajouter au coût d’exploitation.
Pour tous ces inconvénients les usagers en situation d’acquérir une nouvelle voiture ont donc d’excellentes raisons de rester dans le classique et de reconsidérer leur choix dans quatre ou cinq
ans.
Dans cette situation, l’amorçage du marché nécessite quelques mesures incitatives des Etats, des constructeurs, et des distributeurs d’énergie électrique.
L’Etat peut intervenir par des mesures de défiscalisation, des primes, mais aussi en décidant d’une règlementation plus sévère, par exemple l’interdiction d’accès aux centre villes aux véhicules
non électriques.
Les constructeurs peuvent offrir des contrats de garantie plus longs et plus sécurisants, incluant la batterie, et comportant notamment des garanties de reprise du véhicule.
Les distributeurs d’ électricité, aidés par une législation adéquate, peuvent mettre en place un réseau public de bornes de rechargement, et inciter les entreprises et les particuliers à faire de
même dans leurs locaux. Les tarifs pratiqués ne devront évidemment pas être dissuasifs.
Il est donc fortement probable que le développement de la voiture électrique dépendra surtout de l’évolution du marché pétrolier, de la politique des Etats, des constructeurs, et des
distributeurs d’énergie électrique.
L’hypothétique épuisement des réserves de Lithium n’est peut-être pas le principal problème…