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10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 15:42

EPR, malédiction ou arme anti CO2 ?

9 Février 2018

Il est toujours dangereux d’aborder le sujet EPR, patate chaude s’il en est. Qu’importe. Il faut parfois prendre des risques et regarder l’ennemi en face.
Car indéniablement le nucléaire est un ennemi, personne n’en doute.
Seulement il n’est pas le seul, l’humanité est aux prises avec une véritable coalition:
D’abord, des ennemis en quelque sorte voisins de longue date, devenus familiers, avec lesquels nous avons passé des arrangements car nous avons, à tort, sous estimé leur pouvoir de nuisance:
L’explosion démographique, le sous-développement, la pauvreté, le tabac, l’alcool, les drogues, la pollution, les dictatures, la destruction de l’environnement, la déforestation, l’esclavage,  etc.
(Nous n’avons pas cité la bagnole, car il ne faut pas tirer sur un ennemi à terre…1 300 000 tués par an tout de même, et 2 300 000 « attendus » en 2030 selon l’OMS).
Tout cela cause des dizaines de millions de morts chaque année et répand le malheur dans le tiers-monde sans nous empêcher de dormir, tant nous sommes davantage préoccupés par l’augmentation de la CSG et le prix du Gaz.
Et puis il y a des ennemis auxquels nous avons conféré un statut supérieur, qui ont droit à l’ « assurance de notre considération distinguée ».
Deux d’entre eux tiennent le haut du pavé:
Les sources fossiles d’énergie, et l’électro nucléaire, qui se tirent la bourre sur un arrière plan de réchauffement climatique à court terme pour l’un, et d’empoisonnement de l’environnement à long terme pour l’autre.
Nous aurions, en quelque sorte, à choisir l’une ou l’autre de ces deux malédictions, entre la peste ou le choléra.
C’est du moins le marché qui nous est proposé.
Quelques téméraires, dont la France, s’estiment capables de se défaire de l’un et de l’autre sans plus tergiverser.
Nous leur souhaitons bonne chance.
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Toute bonne stratégie militaire repose sur un jeu d’alliances, et toute bonne tactique de terrain consiste à n’attaquer qu’un seul ennemi à la fois.
Pour ce qui concerne les alliances, nous avons bien constitué une coalition mondiale, mais celle-ci ne vaut que contre un seul ennemi, les énergies fossiles, et avec un seul but, réduire les émissions de CO2.
En effet, l’électronucléaire n’est pas perçu au plan mondial comme un ennemi à combattre au même titre que les énergies fossiles.
Au contraire même, l’IPCC (GIEC), qui fédère au plan mondial les actions liées à la lutte contre le changement climatique, a placé le nucléaire dans la catégorie des énergies dont l’influence sur le climat est neutre.
(Ce qui est indéniable, si l’on met de côté les autres nuisances de cette technologie.
Dans le même esprit on pourrait dire aussi qu’une balle de fusil n’est pas dangereuse, si l’on n’est pas sur son trajet…).
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Les pays qui auront choisi de lutter à la fois contre les énergies fossiles et contre le nucléaire auront donc à affronter deux types de difficultés:
D’une part ils devront gérer un combat contre deux ennemis à la fois, alors que les stratégies habituelles consistent à procéder par étapes: d’abord un ennemi, et ensuite l’autre.
D’autre part, pour lutter contre le nucléaire ils n’auront le soutien que d’une minorité, puisque la coalition mondiale n’a pas mis cette technologie à l’index.
On peut ajouter que, pour un pays donné, le combat sera d’autant plus difficile que la part du nucléaire y est importante, ce qui est le cas de la France, faut-il le rappeler.
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Quantitativement, l’électronucléaire n’occupe pas une place très importante dans la consommation énergétique mondiale actuelle (nous disons bien « actuelle » ).
« Connaissance des énergies.org » nous donne les valeurs suivantes pour 2015:
Consommation mondiale d’énergie primaire:  160 000 TWh  ( 13 650 Mtep), dont 80% de produits fossiles (Charbon + Pétrole + Gaz naturel) émetteurs de CO2 .
Dans le même temps, la production d’électricité nucléaire s’est élevée à   2 575 TWh.
Soit 1,6 % de l’énergie primaire consommée dans le monde.
(2,3 % si l’on se rapporte à l’énergie finale).
Il est évident que, du point de vue des émissions mondiales de CO2, le Nucléaire n’intervient quasiment pas, dans l’état actuel des choses.
Il est pourtant au centre des débats.
Quel est cet étrange paradoxe ?
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Les mauvaises langues disent que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres.
Ce n’est pas faux, mais cela n’exclut pas la rigueur et l’honnêteté.
C’est une question d’éclairage.

Toujours d’après la même source, la production mondiale d’électricité s’est élevée en 2015 à 24 250 TWh.
La part de l’électronucléaire y est donc de 10,6%.
C’est déjà plus respectable.
Voyons plus loin:

En regardant dans le détail on constate que la part des énergies renouvelables dans la production mondiale d’électricité s’élève à 21%.
Hors nucléaire évidemment.
(L’hydraulique y occupant une place importante, l’éolien et le solaire affichant une belle croissance).

Si l’on ajoute le nucléaire, on arrive donc à 32 % de part décarbonée dans le mix électrique mondial, dont le tiers pour l’électronucléaire.

Ce qui signifie que, dans l’optique de la transition énergétique, c’est-à-dire en mettant de côté les fossiles, l’électronucléaire  représente aujourd’hui 33% de la part des énergies éligibles au mix électrique décarboné.
(Nous sommes ainsi passés de 1,7% à 10,6 %, puis 33% en modifiant simplement l’éclairage porté aux statistiques).

Cet éclairage différent du même tableau de chiffres met en évidence l’intérêt du nucléaire dans la stratégie de transition énergétique.

(Ce qui n’enlève rien à son haut potentiel de nuisance dont la démonstration nous a été donnée à plusieurs reprises).
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Il ne faut donc pas s’étonner de l’intérêt croissant porté dans le monde à cette technologie, qui est perçue comme un substitut aux fossiles, notamment au Charbon grand émetteur de CO2 et d’autres polluants qui empoisonnent l’Atmosphère de certaines mégapoles au bord de l’asphyxie.
Il ne s’agit plus alors seulement de réduire le taux de CO2 mais bien d’éviter l’asphyxie à court terme sous les poussières de charbon…

Par ailleurs, les réserves de minerai d’Uranium sont du même ordre de grandeur que celles des combustibles fossiles, aux niveaux de consommation actuels et dans les technologies actuelles.
De plus, la technologie électronucléaire se réclame d’un important potentiel d’amélioration grâce aux surgénérateurs susceptibles d’augmenter considérablement les rendements et donc les réserves.
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La bataille contre le nucléaire n’est donc pas gagnée d’avance au plan mondial, malgré Fukushima.
On peut, on doit, le déplorer, mais c’est ainsi.
Certains pays peuvent y trouver une solution pour réduire leur niveau de pollution, et accompagner leur développement économique.

Pour certains gestionnaires, l’attrait exercé par le nucléaire est considérable dans le contexte de la transition énergétique.
Il permet une production de base, contrairement aux technologies éolienne et solaire, qui nécessitent d’être adossées à un parc de centrales thermiques, émettrices de CO2.
Il est neutre vis-à-vis des émissions de GES.
D’autre part, une analyse des coûts d’investissements lui donne l’avantage par rapport aux autres technologies, pour peu que l’on ne tienne pas compte du coût des dommages potentiels liés à des accidents nucléaires en cours d’exploitation, ou aux conséquences long terme du stockage des déchets radioactifs.

Les dirigeants de certains pays, que d’aucuns qualifieront de cyniques, n’hésiteront pas à mettre en balance une technologie qui peut leur apporter une solution énergétique à court terme, avec les nuisances potentielles dont cette technologie est porteuse, mais avec une probabilité incertaine et pour des temps qui défient l’imagination.
Leur choix risque d’être vite fait si aucune autre porte de sortie ne leur est offerte.
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L’Europe, qui se positionne dans le groupe de tête des régions développées, non sans quelques raisons, et qui se veut exemplaire en matière de lutte contre le changement climatique, offre un panorama nucléaire édifiant:

En Europe, en 2016, il y avait 130 réacteurs nucléaires en exploitation dans 14 pays, pour une puissance totale de 122 GW, dont la moitié en France.
Le nucléaire européen a produit 800 TWh en 2015, soit 24,2 % de la production électrique totale.
Toujours en Europe, quatre nouveaux réacteurs sont en construction:
2 en Slovaquie.
1 en Finlande.
1 en France.

Difficile, avec ce palmarès, de promouvoir dans le monde l’arrêt du Nucléaire avec quelque crédibilité…

Selon la SFEN, il y aurait dans le monde 72 réacteurs en construction et 160 autres en projet.
(Source: http://www.sfen.org/energie-nucleaire/panorama-nucleaire/nucleaire-monde).

Ce panorama montre que l’annonce par certains de l’enterrement du nucléaire est peut-être un peu prématurée.
Sans avoir nécessairement le vent en poupe, il est probable que cette technologie continuera d’être utilisée encore quelques décennies ici et là, même au japon qui pourtant ne peut plus ignorer ses inconvénients.

Tout dépendra de la capacité des renouvelables à remplacer à la fois les fossiles et le nucléaire existant.
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Dans l’état actuel de nos besoins et de nos habitudes de consommation, et dans la perspective de l’abandon des sources fossiles d’énergie, le nucléaire restera incontournable tant que « nous » n’aurons pas apporté la preuve que nous pouvons nous en passer en tant que production de base.
(Personne ne songe sérieusement à remplacer le nucléaire par des centrales thermiques qui devraient brûler des combustibles fossiles car les bio combustibles, notamment le bio Méthane, ne sont pas encore disponibles, il s’en faut de beaucoup).
 
La transition énergétique passe par une modification drastique de nos habitudes de consommation, il va nous falloir adapter la demande à l’offre, alors que nous faisons l’inverse aujourd’hui.
Il nous faudra également réduire nos consommations, ce qui passe évidemment par la lutte contre les gaspillages d’énergie directs ou indirects.
(C’est une incantation que l’on répète depuis plus de dix ans, mais notre consommation d’électricité demeure désespérément constante, et il nous faudra bientôt recharger les batteries de nos VE …).
Nous serons également priés d’accepter sans protester l’invasion de nos côtes et de nos campagnes par des fermes solaires, et des éoliennes terrestres et surtout offshore.
(Aujourd’hui de nombreux projets ambitieux sont retardés par les actions en justice de riverains opposants…).
Et peut-être le plus difficile, il faudra accepter de transférer une partie de notre autonomie de gestion de nos consommations au gestionnaire de réseau, notamment pour ce qui concerne la charge des véhicules électriques, et les postes gros consommateurs tels que le chauffage électrique et le gros électroménager.
Il s’agira de gérer les pointes de puissance et les capacités d’effacement afin de s’adapter aux fluctuations de la production des renouvelables.
Ceci se fera à travers les compteurs communicants en cours d’installation (Linky en France), à condition de les accepter…
Il est également probable que nous verrons nos factures énergétiques atteindre des sommets insoupçonnables aujourd’hui.
(La CSPE est le loup dans la bergerie).
Par ailleurs, certains trouveront leur intérêt dans un certaine autonomie énergétique, lorsque les conditions s’y prêteront, soit à titre individuel, soit par la mutualisation des moyens de production privés.
Le retrait du nucléaire pourra alors être acté au fur et à mesure de la mise en œuvre de ces dispositions et du constat de leur efficacité.
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Le match entre nucléaire et fossiles n’en est qu’à ses prémisses car la part de l’atome dans la production mondiale d’électricité est aujourd’hui encore faible, environ 10 % .
(Le cas de la France est particulier et devra recevoir un traitement particulier).

Par contre, dans un contexte mondial de forte pression pour la réduction des émissions de CO2 à cause du changement climatique, et pour la réduction de la pollution à cause de l’asphyxie des mégapoles, cette part du nucléaire peut être appelée à augmenter significativement, en complément de la croissance de la production des renouvelables qui auront du mal à répondre à la demande croissante, notamment par l’électrification des transports.

Le match entre nucléaire et fossiles se déroule aujourd’hui principalement sur le terrain de la production électrique.
Un autre match, autrement important car il concerne des quantités d’énergie beaucoup plus élevées, est en préparation, sur le terrain des applications non électriques exploitant la chaleur et la force motrice.
C’est le match entre combustibles fossiles et Bio combustibles (Bio carburants et Bio Gaz).
Toujours dans le contexte d’une pénalisation des fossiles, et si les bio combustibles de troisième génération et le bio Gaz tardent à arriver, beaucoup d’applications qui s’y prêtent basculeront sur l’électricité et créeront un forte augmentation de la demande, pour laquelle le nucléaire pourrait être une réponse.
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La décision concernant le sort du nucléaire dans la transition énergétique n’est donc pas aussi évidente que le laisse penser la lecture des gazettes vertes.
Personne ne nie la dangerosité de cette technologie, ni son potentiel de nuisance à long terme, mais peu d’entre nous sont prêts à consentir les sacrifices nécessaires pour l’éradiquer.
Le sort de l’EPR n’est pas seulement dans les mains du ministre, mais aussi dans les nôtres, qui tenons les leviers de la demande de puissance électrique.
Peut-être n’avons-nous pas absolument besoin de quatre cent millions d’ampères certains jours de Février…
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