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6 juillet 2017 4 06 /07 /juillet /2017 18:08

Un EPR requinqué.

6 Juillet 2017
Le tribunal a donc rendu son verdict. L'accusé, blanchi au bénéfice du doute, est cependant placé sous surveillance et se voit imposé une cure de rajeunissement dans un délai de sept ans.
Il faut préciser que cette décision était attendue, une décision d'arrêt du chantier aurait signifié l'arrêt de mort du programme EPR, et donc de la filière électronucléaire, ce qui n'est pas dans l'air du temps malgré les annonces réitérées du Gouvernement, qui pourraient laisser penser le contraire.
On peut donc parler de non évènement.
Comme prévu de longue date, les deux réacteurs de Fessenheim seront mis à l'arrêt lorsque l'EPR de Flamanville sera entré en production, en 2019, si aucun nouvel "incident" ne vient perturber le programme.
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On trouvera un rappel de cette histoire de couvercle de cuve ici:
http://leblogdedoczaius.over-blog.com/2015/05/flamanville-polemique-autour-d-une-cuve.html

On trouvera des détails techniques ici:
http://www.irsn.fr/fr/expertise/rapports_gp/documents/gpespn/asn-dep-2015-037971_irsn-2015-00010_gpespn-30092015.pdf
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Cette affaire ne peut manquer de poser une question fondamentale:
En quoi cet écart de la composition de l'acier du couvercle, par rapport aux valeurs prescrites par le cahier des charges, peut-il compromettre la résistance de la cuve en fonctionnement normal dans la durée, et/ou dans des conditions de surcharges accidentelles, ou de défaillance des systèmes de sécurité ?
Avec une question subsidiaire: Quelles seraient les conséquences d'une rupture d'un élément de la cuve ?
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Il est relativement "simple" de répondre à la question subsidiaire sur les conséquences:
Il faut d'abord préciser que, à notre connaissance, aucune cuve de réacteur  ne s'est encore cassée en fonctionnement normal ou en cas d'incident ou de surcharge normalement contrôlés par les systèmes de sécurité demeurés opérationnels.
Les cuves elles-mêmes n'ont encore jamais été l'élément initiateur d'un accident majeur.

Leur problème est dans leur capacité à résister à des surcharges résultant d'une perte de contrôle du système de refroidissement et de transfert de chaleur aux générateurs de vapeur, quelle que soit la cause de cette perte de contrôle.

A Tchernobyl, et à Fukushima, les dégâts causés à la ou aux cuves furent la conséquence de défaillances des systèmes de sécurité, elles-mêmes résultant soit d'erreurs humaines, soit de causes extérieures, soit de certaine malfaçons dans la conception des centrales.
L'accident de Three mile island, dû à un disfonctionnement du système de refroidissement, a entraîné une fusion partielle du cœur, mais sans percement de la cuve grâce à l'intervention rapide des mesures de sécurité.
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Il peut se produire un accident majeur, de type APRP (Accident de Perte de Réfrigérant  Primaire), sans que la cuve soit directement à l'origine de l'accident, comme ce fut le cas à Three mile island, Tchernobyl et Fukushima.
Ce "pépin" peut être initié par une défaillance du système électrique, ou des pompes primaires, par une brèche importante d'une tubulure du circuit primaire, ou tout autre incident qui affecterait la bonne circulation de l'eau primaire, sans que la cuve soit en cause.
Si les moyens d'alimentation en eau de sécurité sont alors insuffisants, il peut en résulter des dégâts en chaîne conduisant à la fusion du combustible, qui s'amalgame avec les structures métalliques de l'intérieur de la cuve pour former le "corium" à température de plusieurs milliers de degrés, et percement du fond de cuve avec libération du corium violemment radioactif dans l'environnement.
La pauvre cuve n'y serait pour rien, car à l'impossible nul n'est tenu.
(Le corium est capable de transpercer du bon acier de trente cm d'épaisseur en quelques heures, et plusieurs mètres de béton de bon aloi en quelques jours…).

En cas d'APRP, le réacteur est immédiatement et automatiquement mis à l'arrêt grâce à l'introduction des barres de ralentisseur au sein des grappes de combustible, et éventuellement en injectant un produit ralentisseur de neutrons ( par exemple acide borique).

Mais après le processus de mise à l'arrêt, même s'il s'est déroulé parfaitement, le combustible continue à dégager de la puissance, et ceci durant une période importante. Il faut donc continuer à refroidir, pour évacuer cette puissance résiduelle, qui décroit naturellement.
Sur un réacteur REP de 1300 MW, la puissance résiduelle après mise à l'arrêt est encore de 270 MW au bout de une seconde, 195 MW au bout d'une minute, 58 MW au bout d'une heure, et 24 MW au bout de un jour, l'arrêt complet n'étant atteint qu'au bout d'un mois environ, encore faut-il garder ensuite les barres de combustibles dans la piscine pour achever le refroidissement, ou les laisser dans la cuve avec une circulation d'eau suffisante.
Ceci lorsque tout se déroule dans les règles.

Mais si l'accident APRP s'accompagne d'une insuffisance de débit d'eau primaire, et/ou d'une défaillance du système d'injection d'eau de sécurité, quelles qu'en soient les raisons, la puissance résiduelle du cœur n'est plus évacuée correctement et la température du combustible s'emballe, entraînant une chaîne de catastrophes telles que celles dont le spectacle nous a été offert par deux fois.
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La catastrophe japonaise, mais aussi celle de Tchernobyl, ont eu l'effet d'un électrochoc, d'une prise de conscience d'un risque jusque là considéré comme inimaginable: APRP, suivi de fusion du cœur, suivi de percement de la cuve, avec dispersion du corium dans l'environnement.
Cet accident, jugé inimaginable, était donc possible.

On se perd en conjectures sur les raisons profondes pour lesquelles un tel accident avait été jugé impossible lors de la conception des centrales.
L'analyse psychiatrique de cet aveuglement collectif, à haut niveau, serait riche d'enseignements sur la pertinence de certaines décisions actuelles…
(La méthode Coué, d'usage courant dans les discours politiques, serait-elle également devenue d'usage licite dans le discours scientifique ?).

Les réacteurs des anciennes générations (REP) ont dû recevoir des aménagements afin de renforcer leur résistance à ce type d'accident, sans cependant atteindre un niveau de sécurité totalement satisfaisant.

Les réacteurs de nouvelle génération (EPR) ont été conçus dès le départ pour offrir une protection en profondeur, notamment au niveau du radier désormais équipé d'un récupérateur de corium avec un dispositif de refroidissement.
Il nous reste à espérer que ces mesures suffiront à limiter les dégâts causés par un APRP avec percement de la cuve et fuite du corium.
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Il n'existe pas d'exemple de cuve de réacteur ayant subi une rupture dans des conditions de fonctionnement normales, ce qui rend difficile la réponse à la question principale.
On peut cependant penser qu'une telle rupture, surtout au niveau du couvercle, causerait des dégâts importants aux mécanismes de manœuvre des barres de contrôle qui pourraient ne plus jouer leur rôle de blocage de la réaction.
En effet, le couvercle d'un réacteur EPR est percé de 107 trous équipés de gaines assurant l'étanchéité des passages des barres et instruments de mesure.
(La pression dans la cuve est normalement de 155 Kg).
Un accident au couvercle pourrait nuire au fonctionnement de ces mécanismes qui doivent coulisser librement.
La mise à l'arrêt du réacteur serait alors partiellement compromise.
La réaction nucléaire restant à un niveau élevé, et l'eau de refroidissement faisant défaut, les conditions seraient réunies pour un beau feu d'artifice.

Mais le pire n'est jamais sûr…
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L'ASN aurait probablement autorisé, sans condition, le fonctionnement du couvercle s'il avait existé un procédé de contrôle "in situ" de l'état de la pièce sans nécessité de la démonter.  Ce procédé n'existe pas aujourd'hui, c'est la raison de la décision de le remplacer le plus tôt possible, c'est-à-dire en 2024 , qui est, selon EDF, le délai le plus court pour fabriquer un tel objet.

EDF espère cependant pouvoir, d'ici deux ans, mettre au point un procédé de contrôle "in situ" qui pourra (peut-être) éviter un remplacement du couvercle et obtenir de l'ASN une modification de sa position.
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La bonne qualité de l'acier de cuve est certes essentielle, comme pour tous les autres organes d'une installation nucléaire.
Mais la bonne santé de la cuve ne suffit pas en elle-même à assurer la sécurité du réacteur.
Tous les autres composants participent à l'objectif de sureté:
Les tuyauteries et leurs soudures, les pompes, les soupapes de sécurité, le pressuriseur, le système d'injection de sécurité, les échangeurs des générateurs de vapeur, les mécanismes de contrôle des barres et des grappes de combustible, les sondes de température et de pression, les soupapes de sécurité, etc, etc.
La fiabilité de cet ensemble conditionne la fiabilité de l'ensemble.
Cet ensemble ne peut fonctionner correctement sans un système de gestion mixte dans lequel les automatismes sont supervisés par du personnel qualifié.
La conception de la centrale elle-même participe à la sureté.
On a vu l'importance de la disposition et de la fiabilité des générateurs électriques de secours à moteurs diesel en cas d'inondation ( Centrale du Blayais, et de Fukushima).
Des organes paraissant secondaires peuvent se révéler essentiels en cas d'accident.
Par-dessus tout, les installations les plus parfaites sont vulnérables si les équipes qui s'en occupent ne sont pas elles-mêmes de très haut niveau technique et humain.
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La sureté de fonctionnement d'une centrale nucléaire ne se résume donc pas, hélas, à un problème de couvercle de cuve.
La meilleure cuve ne résistera pas à un APRP mal maîtrisé, ou dont le système de sécurité présente des failles de conception, de conduite, ou de maintenance.
L'arbre ne doit pas cacher la forêt…
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La décision d'autoriser, ou pas, la mise en service de la cuve de Flamanville, devrait (aurait dû) être fondée sur des attendus techniques, et seulement techniques.
Malheureusement il semble que d'autres considérations sont venues polluer l'analyse du problème, et peut-être la décision:
les retards cumulés, les dépassements budgétaires, les délais considérables nécessités par la mise en œuvre des solutions techniques radicales, l'image de la compagnie responsable du projet, l'impact sur les autres projet EPR notamment à l'export, la nécessité politico-technique d'arrêter Fessenheim et donc de démarrer au plus vite  l'EPR, la perte de crédibilité du nucléaire par rapport aux autres moyens de production ( solaire, éolien, biomasse, hydraulique…), tout cela a probablement contribué à exercer une pression considérable en faveur d'un "avis favorable".
Il serait dramatique que les mêmes raisonnements qui conduisirent jadis à nier le risque d'accident majeur, soient repris aujourd'hui pour nier le risque lié à une qualité d'acier hors spécifications.
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Saint Eloi est le patron des travailleurs sur métaux et, par extension, des électriciens.
Tant qu'à rester dans l'irrationnel, nous pouvons toujours tenter de lutter contre la méthode Coué en faisant brûler des cierges à Saint Eloi.
Ou consulter Madame Irma sur l'opportunité de continuer à habiter à côté d'une centrale nucléaire.

Les bretons, qui en connaissent un rayon en matière de saints, ont toujours refusé d'accueillir une centrale nucléaire chez eux.
Peut-être ont-ils bénéficié du privilège d'informations particulières de Saint Eloi, fort honoré en cette contrée.
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