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22 avril 2020 3 22 /04 /avril /2020 16:36

Le prix de l'électricité, ou comment charger la mule.

25 Avril 2020

Le prix de l'électricité est une donnée sensible qui, avec le Gaz naturel et les carburants pétroliers, pèse de plus en plus lourdement sur les budgets.

La transition énergétique menace directement les énergies fossiles sans que l'on puisse identifier aujourd'hui clairement les produits de remplacement; la seule certitude est que l'électricité occupera une place de plus en plus importante.

La facture d'électricité devient angoissante pour les budgets modestes, d'autant plus qu'elle est incompréhensible pour le consommateur moyen peu soucieux d'entrer dans les arcanes de la CRE, du TURPE, de EDF, de RTE, de ENEDIS, de la CSPE, et qui se trouve de plus sollicité par de nombreux fournisseurs alternatifs sans avoir d'éléments sérieux pour orienter son choix éventuel.

Ainsi, il n'est peut-être pas inutile de tâcher d'y voir un peu plus clair dans la cuisine qui conduit à l'élaboration du prix du kWh.

Nous parlons ici de l'électricité distribuée par le réseau national, l'autoconsommation étant un domaine privé, au demeurant peu développé aujourd'hui, mais plein d'avenir.

Pour fournir au consommateur une électricité de bon aloi, un certain nombre d'opérations ont dû être menées à bien, que l'on regroupe en quatre activités principales :

A- La production.

Il a d'abord fallu produire l'électricité, depuis les panneaux solaires sur les toits jusqu'aux centrales nucléaires en passant par les centrales thermiques, les centrales hydroélectriques, les parcs éoliens, les fermes solaires, les centrales géothermiques, etc.

Aujourd'hui 75% de l'électricité consommée en France est produite par les centrales nucléaires EDF, le reste provient de l'hydroélectrique (10%), de quelques centrales thermiques (8 % ), de l'éolien terrestre et du solaire photovoltaïque ( 7%).

Ce mix électrique est appelé à de profonds bouleversements. La part du nucléaire doit être réduite à 50% à l'horizon 2040 (?), et la part de l'éolien et du solaire sera portée à 30% dans un premier temps ; et surtout des producteurs alternatifs arrivent sur le marché depuis l'ouverture à la concurrence.

ce qui se passera après 2050 n'est pas encore très clair, c'est le moins que l'on puisse dire.

B- L'acheminement.

Cette électricité doit être acheminée vers les utilisateurs grâce au réseau national, avec des capacités d'échanges transfrontaliers pour participer à la réalisation du grand réseau européen interconnecté.

Ce réseau comporte plusieurs étages de niveau de puissance et de tension décroissants depuis la THT de plusieurs centaines de Kilovolts jusqu'au niveau de l'usager domestique en 230 Volts, des stations de transformation et de commutation, et un cœur constitué d'un système de gestion dont le rôle est d'assurer le « réglage système ». Ce rôle de chef d'orchestre consiste à régler l'injection d'énergie dans le réseau pour l'adapter en temps réel à la demande d'énergie, et à maintenir les paramètres ( Fréquence, tension, harmoniques, déphasages, etc) dans les limites du cahier des charges, et bien entendu à prendre toutes mesures nécessaires pour éviter un black-out ; il gère également les appels de l'énergie des centrales hydroélectriques, les éventuels effacements, et bien sûr les échanges transfrontaliers.

Ce rôle majeur, bien souvent sous-estimé, est l'activité sans laquelle le réseau ne pourrait pas être opérationnel.

C- Le comptage et la gestion.

Acheminer l'énergie, c'est bien, mais lorsqu'il y a trente cinq millions de clients à servir individuellement, il faut pouvoir les identifier, leur fournir le service correspondant à leur contrat, effectuer le comptage de l'énergie consommée selon les éventuelles tranches horaires négociées, gérer les contrats, traiter les incidents, opérer l'intermédiation avec les fournisseurs qui commercialisent l'énergie, etc.

En France cette activité, opérée par ENEDIS, a également en charge l'acheminement « dernier kilomètre » à partir des transformateurs de quartiers pour les clients < 36 KVA, pour des raisons de commodité liée à la proximité des services.

A, B, et C constituent ainsi l'outil qui permet d'offrir aux consommateurs une énergie électrique de qualité garantie, prête à être commercialisée.

D- La commercialisation.

Depuis l'ouverture à la concurrence (2007), cette énergie peut être commercialisée par des fournisseurs « alternatifs » , et non plus par le seul opérateur historique EDF ou les ELD (Entreprises Locales de Distribution) .

Plusieurs dizaines de fournisseurs alternatifs se sont positionnés pour vendre l'électricité disponible sur le réseau.

Selon les termes de la loi sur l'ouverture à la concurrence, un fournisseur peut être également producteur, c'est même hautement conseillé.

Le fournisseur qui ne produit pas doit évidemment lui-même acheter l'électricité pour pouvoir la revendre. Pour cela il a plusieurs possibilités :

- Passer directement un contrat avec un ou plusieurs producteurs d'énergie indépendants.

- Acheter l'énergie sur le marché européen.

- Acheter à EDF une part d'électricité nucléaire, grâce au dispositif ARENH qui oblige EDF à mettre 100 TWh à disposition des fournisseurs alternatifs à prix fixe de 42 euro/MWh(Ce dispositif a été mis en place pour favoriser le démarrage de la concurrence ).

Le prix de l'électricité n'est pas seulement le coût du kWh qui sort de la centrale électrique.

Les trois activités B,C,et D décrites ci-dessus doivent être rétribuées comme dans tout circuit commercial.

( De même que le prix du litre de lait n'est pas le coût auquel il est vendu pas l'éleveur).

Les activité A (Production) et D (Commercialisation), ouvertes à la concurrence, sont par nature diverses et ne doivent pas être contraintes par un cadre strict sauf celui qui régit les cahiers des charges techniques ou commerciaux.

Chaque producteur fait son affaire de ses coût d'exploitation, de même que chaque fournisseur s'organise à sa guise pour rentabiliser son business en respectant ses obligations contractuelles, notamment les obligations de capacités et la justification de l'origine de l'électricité vendue.

Par contre les activités B ( Réseau) et C (Comptage) doivent être gérées par une seule entité sous le contrôle de l'Etat*, si l'on veut éviter le chaos qui ne manquerait pas de résulter d'une segmentation de la gestion en plusieurs entités concurrentes.

*Il s'agit des « monopoles publics naturels » assurant des missions de service public.

En France, l'activité réseau /transport est assurée par RTE (Réseau de Transport d'Electricité), et le comptage/distribution par ENEDIS (pour 95% des clients) et les ELD (Entreprises Locales de Distribution pour 5%).

Ces activités B et C sont encadrées et leur coût est supporté à égalité par les consommateurs, quelque soit le fournisseur.

Cette rémunération (de RTE et ENEDIS) , qui sera elle aussi incluse dans la facture du consommateur final, est fixée par la CRE (Commission de Régulation de l'Energie) et correspond au TURPE ( Tarif d'Utilisation du Réseau Public d'Electricité).

L'idée étant d'avoir un tarif réseau unifié dès lors que le réseau est lui-même unifié.

Ce TURPE existe depuis 2008, il est fixé pour 4 ans et est réévalué tous les ans.

La version en cours est le TURPE 5 ; la prochaine version, TURPE 6 , qui entrera en vigueur en Aout 2021, fait actuellement l'objet d'une consultation publique auprès des intéressés.

Les grands principes demeurent :

-Principe du timbre-poste, le tarif ne dépend pas de la distance ni du lieu de soutirage.

-Péréquation tarifaire.

-Tarif binomial, partie sur la puissance, partie sur l'énergie.

-Horo-saisonnalité .

Le TURPE comprend plusieurs composantes, dont trois seulement concernent les utilisateurs dont l'abonnement est inférieur ou égal à 36 KVA :

-La composante de gestion, relative à la rétribution des dépenses engagées pour l'édification et l'entretien du réseau dans sa totalité depuis la THT jusqu'au branchement usager.

-La composante de comptage, relative aux dépenses engagées pour la mise en œuvre et l'entretien du comptage, la gestion des tranches horaires, etc .

-La composante de soutirage, qui couvre les charges d'exploitation et de capital liées aux infrastructures réseau, et le coût d'achat des pertes réseau. Son montant dépend pour une part de la puissance souscrite, et pour une autre part du taux d'utilisation de cette puissance (en fait, de l'énergie consommée).

Le calcul du TURPE est très complexe, son montant n'apparaît pas expressément sur la facture client ; il est réglé directement par le fournisseur à ENEDIS et RTE, et chargé sur la facture client sur les lignes consommation et abonnement.

En plus de la consommation et de l'abonnement la facture client comporte une rubrique « contributions et taxes » :

-CTA, Contribution Tarifaire d'Acheminement, qui finance des droits spécifiques aux retraités qui relèvent du régime de l'électricité (ENEDIS, RTE, ELD...)

-CSPE, Contribution au Service Public de l'Electricité, qui finance les charges de service public de l'électricité, la péréquation tarifaire dans les ZNI (Zones Non Interconnectées), les frais liés aux obligations d'achat, les complément de rémunération des producteurs d'énergie renouvelable...

-TCFE, Taxe sur la Consommation Finale d'Electricité, prélèvement des communes et conseils généraux.

-TVA

Cette accumulation de coûts supplémentaires conduit à un tarif effectif global du kWh qui n'a plus que de lointains rapports avec les coûts de production cités ici et là pour comparer les technologies.

Par exemple le prix de cession de l'électricité nucléaire est fixé à 4,2 centimes/kWh par le dispositif ARENH.

Or ce même kWh est globalement facturé en moyenne 17 centimes au client résidentiel, soit quatre fois plus !

L'écart provient évidemment de l'ensemble [Abonnement + (TURPE + CTA + CSPE + TCFE + TVA)] qui représente près de 75% de la facture abonné.

Le sous-ensemble (TURPE + CTA + CSPE + TCFE + TVA) étant appliqué à égalité pour tous les fournisseurs, la concurrence ne peut s'exercer que sur deux paramètres :

Les tarifs HT de l'abonnement et du kWh hors TURPE .

A l'époque du « monopole public naturel » de EDF, les TRV (Tarifs Réglementés de Vente) déterminés par la CRE et proposés à l'approbation du Ministre, étaient les seules références en matière de prix.

Depuis l'ouverture à la concurrence d'autres tarifs sont proposés par les fournisseurs alternatifs, mais la référence reste le TRV, qui place la barre très haut ( ou plutôt très bas en l'occurrence).

Les TRV n'étant pas tout à fait conformes au concept de libre concurrence, ils sont en voie de disparition.

Aujourd'hui seul subsiste le TRV pour les clients < 36 KVA, proposé seulement par EDF, et susceptible de disparaître dans les prochaines années.

En 2018, 80% des clients étaient encore abonnés au tarif réglementé, ce qui prouve que le dispositif ARENH n'a pas suffit à provoquer la fuite des clients EDF vers les alternatifs.

Mais cela peut changer...

On peut identifier plusieurs facteurs d'évolution du prix de l'électricité.

- Le tarif réglementé de l'électricité ne subsiste plus que pour les clients <36 KVA, et on peut craindre sa disparition prochaine comme pour le TRV Gaz dont la fin est envisagée pour 2023.

La disparition de cette référence commerciale est susceptible de lâcher la bride aux augmentations des offres de marché.

Selon la politique qui sera appliquée au nucléaire, la structure du mix électrique français évoluera et les coûts de production également, car l'ARENH ne sera plus là pour tirer les coûts vers le bas.

( Le kWh à 4,2 centimes ne sera plus qu'un lointain souvenir...).

- Le réseau devra s'adapter aux nouvelles structures de production dispersée ; remplacer le concept monodirectionnel par un maillage bidirectionnel, s'adapter aux nouvelles applications comme la voiture électrique et les pompes à chaleur, augmenter considérablement les capacités d'échanges transfrontaliers, développer les installations de stockage d'énergie ( STEP ) et d'interfaçage avec la filière Hydrogène.

Le coût de ces travaux sera supporté par le consommateur à travers le TURPE, dont le montant ne peut qu'augmenter.

- Parmi les facteurs d'évolution des tarifs, il faut également considérer le développement de l'autoconsommation qui, selon qu'elle est totale ou partielle, avec ou sans injection, aura une influence certaine sur le calcul du TURPE , et donc aussi sur les choix technologiques.

(Selon les évaluations de la CRE, la part de l'autoconsommation pourrait atteindre 10% en 2035).

- Enfin la CSPE, qui intègre les dépenses directement liées au développement des énergies renouvelables et aux charges de service public, ne peut que continuer sa croissance déjà bien lancée.

( Pour 2020 son montant prévu sera de 8 Milliards d'euros).

Aujourd'hui, selon Eurostat et pour les consommateurs résidentiels européens, les tarifs moyens du kWh (tout compris) s'échelonnent de 10 centimes (Bulgarie) à 31 centimes (Allemagne).

La France est à 17 centimes.

C'est le tarif le plus bas parmi l'ensemble de nos neuf plus proches voisins Européens ( Allemagne, Belgique, Pays-bas, Irlande, Espagne, Portugal, Italie, Royaume Uni, Luxembourg).

Ces disparités traduisent d'une part les écarts de coût moyen de production selon les technologies (Thermique fossile, nucléaire, renouvelables), et d'autre part les modalités de répartition des charges de réseau entre secteur professionnel/industriel et résidentiel.

Le développement du grand réseau européen interconnecté est susceptible d'entraîner une augmentation des dépenses liées à la construction des infrastructures nécessaires à l'accroissement des échanges transfrontaliers, liaisons en courant continu à très haute tension, liaisons sous-marines, ouvrages hydroélectriques pour la production et/ou le stockage de l'énergie électrique, filière Hydrogène, etc.

La mutualisation du réseau européen entraînera une mutualisation de ces dépenses à travers les financements européens, avec des retombées au niveau des tarifs nationaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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