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23 juillet 2012 1 23 /07 /juillet /2012 18:04

 

23 Juillet 2012

Nous avons vu dans l’article précédent que la sureté nucléaire est un concept qui repose sur le principe de convergence de diverses démarches dont chacune doit être à son niveau d’excellence.

La machine la mieux conçue ne sera pas sûre si l’une de ses pièces laisse à désirer.

L’usine la mieux assemblée ne fonctionne pas correctement si elle est

confiée à du personnel mal qualifié.

Les procédures les mieux élaborées ne valent que si elles sont appliquées correctement.

Les règlementations les plus sévères sont inefficaces si elles ne sont pas respectées.

Les programmes de simulation les plus savants sont inutiles s’ils n’incorporent pas les données convenables.

Les automatismes les plus sophistiqués ne sont pas fiables si les logiciels ne sont pas robustes.

Les constructions les plus solides seront fragiles si l’environnement n’est pas sécurisé.

La sureté est obtenue grâce au concours d’un ensemble de facteurs, c’est un travail d’équipe dans lequel la part de chacun conditionne le résultat final.

L’accident majeur, celui qu’il faut à tout prix empêcher, est la dissémination de produits radioactifs dans l’environnement.

Pour cela l’installation d’un réacteur comporte plusieurs lignes de défense successives:

- La première ligne est constituée par l’encapsulation des pastilles de combustible dans des gaines de Zircaloy ( alliage de Zirconium) qui sont plongées dans la cuve. Les produits radioactifs y sont enfermés et la réaction nucléaire porte la température de l’eau du circuit primaire à 350°C environ dans les conditions nominales ( Réacteur REP).

Le métal des gaines peut résister jusqu’à 1 400 °C environ, ce qui permet de garder la première barrière efficace même en cas de début de dénoyage du coeur.

Les produits de fission demeurent à l’intérieur des gaines, et ne disséminent pas hors de leur domaine assigné. Seuls les neutrons s’échappent à travers l’eau de la cuve et sont arrêtés par la paroi en acier de 20 cm d’épaisseur.

- La deuxième ligne de défense est constituée par le circuit primaire, chargé de transporter la chaleur du cœur de la cuve vers les générateurs de vapeur, grâce à un fluide caloporteur ( Qui est de l’eau dans les réacteurs à eau pressurisée). Ce circuit primaire comprend la cuve, les tubes échangeurs des générateurs de vapeur, la tuyauterie correspondante, les pompes primaires, et divers raccordements. L’eau circule en circuit fermé étanche, dans des tuyaux en acier sous une pression de 155 Kg et à une température de 300°C environ.

La réaction de fission dans les pastilles de combustible provoque un fort dégagement de chaleur qui est transmis à l’eau à travers les gaines.

Dans la cuve, cette eau est exposée aux neutrons qui s’échappent des pastilles de combustible, lesquels neutrons interfèrent avec les produits additifs présents, générant des composants radioactifs d’activité modérée. L’étanchéité du circuit primaire empêche ces résidus radioactifs de se répandre ou de contaminer l’eau des générateurs de vapeur.

La radioactivité ne va donc pas au-delà du circuit primaire, dans les conditions nominales.

- La troisième ligne est constituée par l’enceinte de confinement, sorte de blockhaus en béton précontraint enfermant la cuve, les trois boucles du circuit primaire, les trois générateurs de vapeur, et tout les ustensiles nécessaires au fonctionnement et au contrôle: Les pompes primaires, le bloc de pressurisation, les accumulateurs, les dispositifs de secours, le mécanisme de commande des barres de contrôle, les mécanismes d’injection de secours, le mécanisme d’aspersion, les interfaces des capteurs de couvercle et de fond de cuve, etc...

Sur les réacteurs de la première tranche ( Fessenheim) l’enceinte de confinement est en béton précontraint de 90 cm d’épaisseur, doublée intérieurement d’une paroi d’acier qui assure l’étanchéité.

L’enceinte est construite sur un radier en béton de plusieurs mètres d’épaisseur, qui supporte l’ensemble cité ci-dessus, dont le poids dépasse le millier de tonnes .

Le tout est agencé pour résister à des séismes, des inondations, ou tout autre catastrophe naturelle ou pas, selon un cahier des charges propre à chaque site.

Ces précautions permettent de garder les émanations de produits radioactifs à l’intérieur de l’enceinte de confinement, même en cas d’accident significatif, à condition bien évidemment que les automatismes de sécurité remplissent correctement leur fonction, que le personnel qualifié puissent intervenir dans les délais prévus, et que l’ampleur de l’accident n’outrepasse pas les limites fixées au cahier des charges.

( On aura compris que cette dernière clause est le talon d’Achille de la sureté nucléaire, car l’avenir n’est écrit nulle part et surtout pas en matière de catastrophes naturelles. Ce n’est pas la TEPCO qui nous dira le contraire).

Le principe des trois lignes de défense n’est pas critiquable en soi, mais il faut se poser la question subsidiaire:

«  Qu’est-ce qui est prévu pour défendre les lignes de défense ? »

Les moyens mis en œuvre pour assurer l’efficacité d’une défense sont au moins aussi importants que la défense elle-même.

(Les murailles d’une forteresse ne valent que ce que valent les troupes chargées de les défendre).

Nous voulons parler de tout ce qui contribue à parer une défaillance susceptible d’enclencher une cascade d’évènements qui conduiraient à une situation incontrôlable.

On peut alors ajouter une quatrième barrière sans laquelle les trois autres seraient inefficaces. Cette garde rapprochée se compose de trois unités:

- Une première unité comprend le dispositif de surveillance. C’est lui qui donnera l’alerte, identifiera l’anomalie et son origine, et déclenchera les premiers secours, en l’occurrence les manœuvres d’urgence prévues dans la procédure de conduite.

Cette unité comprend une partie matérielle ( Capteurs de température, de pression, de niveau, commande des barres de contrôle, accumulateurs pour l’injection d’eau de sécurité, robinets automatiques, circuits électriques, centrale de commande, etc…), une partie logicielle supportant les procédures d’intervention, et une partie humaine constituée des équipes d’intervention et éventuellement de secours extérieurs.

- La deuxième unité est chargée de prendre la relève lorsque les mesures d’urgence ont fait leur œuvre, et de « normaliser » la situation jusqu’à disparition du risque. Selon la nature et l’importance de l’accident, les moyens à mettre en œuvre sont variés, par exemple:

Contrôle de l’atmosphère de l’enceinte de confinement pour éviter les conditions d’une explosion, fourniture d’eau de refroidissement de secours, ennoyage du cœur du réacteur, récupération des produits radioactifs éventuellement répandus, alimentation électrique de secours, matériel de pompage de secours, contrôle de la température du cœur pour garantir « l’arrêt à froid », gestion d’un éventuel corium, gestion des dégâts d’une éventuelle explosion, etc…

- La troisième unité est l’équipe de gestion des situations d’accident, chargée de coordonner les différentes unités d’intervention, les unités d’intervention extérieures, les relations avec les autorités territoriales, l’information de la population, et le suivi du retour à la normale.

L’importance de cette quatrième barrière apparaît à l’analyse du déroulement des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima.

Les enseignements tirés de l’analyse des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima ont montré qu’une cinquième barrière est nécessaire: Il s’agit d’un dispositif permettant de recueillir, de canaliser et de refroidir le corium qui se serait déversé à la suite d’une rupture de cuve d’un réacteur.

Cette cinquième barrière équipera les futurs EPR.

Son absence sur les réacteurs du parc actuel pose le problème de l’opportunité de prolonger leur durée d’exploitation à quarante années.

L’analyse de la ruine collective des réacteurs de Fukushima a montré que le bon fonctionnement des procédures d’urgence ne suffit pas à éviter le drame si les installations restent vulnérables à l’interruption durable des alimentations électriques extérieures, et/ou à l’inondation des équipements de secours.

( Rappelons que les installations japonaises ont résisté au séisme, résisté aussi à l’interruption de l’alimentation électrique extérieure, mais ont été débordées par le tsunami qui a submergé les alimentations électriques de secours).

Il faut donc ajouter une sixième ligne de défense, chargée s’assurer par des moyens spécifiques le soutien des installations de secours et leur protection contre les submersions, ou contre toute autre mauvaise surprise.

La sureté nucléaire exige en fait une septième ligne de défense, constituée de la structure d’inspection des différents sites, et dont le rôle doit être préventif.

Les inspections périodiques jouent un rôle essentiel:

- Vérifier l’état des installations en référence aux normes existantes, évaluer l’usure des différentes composantes, préconiser les mesures correctrices.

- Demander des évaluations particulières sur des points litigieux, ou des tests complémentaires.

- Vérifier la bonne application des procédures d’exploitation, et des procédures d’urgence. Demander leur modification si nécessaire.

- Préconiser toutes mesures d’adaptation des installations à l’état de l’art de la technologie et en fonction de l’expérience de terrain accumulée.

- Evaluer la qualification des personnels dans les différentes situations.

- Analyser les rapports d’incidents et en tirer les conséquences.

- Mettre en œuvre toutes procédures de test ou d’expertise jugées nécessaires.

- Veiller à la bonne exécution des préconisations.

C’est donc un rôle tout à fait essentiel qui ne peut être efficace que s’il est conduit dans la plus grande indépendance vis-à-vis de l’industriel exploitant, du constructeur, et de l’autorité de tutelle.

La sécurité nucléaire ne peut donc jamais être considérée comme acquise. Elle doit être une recherche constante de l’excellence et une remise en question permanente qui ne supporte ni l’opacité, ni la suffisance, ni l’approximation, ni les conflits d’intérêts, ni la négligence ou le laisser aller.

Les sept lignes de défense doivent constituer une chaîne sans maillon faible et sans solution de continuité.

Où trouverons-nous les hommes capables d’accomplir une telle mission avec autant de vertu ?

Tel un Prométhée moderne, l’Homme est fier d’avoir dérobé le feu du ciel, mais saura-t-il déjouer les pièges de Pandore et se rendre maître du contenu de la fameuse boîte ?

Certains en doutent…

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