26 Septembre 2012
Sauf revirement inattendu, nous voici donc aiguillés sur la voie d’un retrait, au moins partiel, du nucléaire.
Le premier pas, modeste, concernera la centrale de Fessenheim, et seulement en 2017. Cette prudence peut paraître excessive en regard des exigences d’une partie de l’opinion qui aurait souhaité
un retrait plus rapide et d’une plus grande ampleur.
Pour comprendre les raisons de ce petit pas, là où certains attendaient un grand bond, il faut regarder de plus près quelles sont les sources de l’énergie électrique et comment elles contribuent
au résultat global, aujourd’hui, nous insistons sur cette dernière précision.
En 2011 la production électrique nette de la France s’est élevée à 542 TWh, répartis comme suit ( Source RTE, Bilan 2011):
Sources classiques:
- Nucléaire: 421,1 TWh 77,7 %
- Thermique fossile: 51,2 -- 9,5 %
- Hydraulique: 50,3 -- 9,3 %
Sources nouvelles:
- Eolien: 11,9 -- 2,2 %
- Photovoltaïque: 1,8 -- 0,3 %
- Autres ENR: 5,6 -- 1 %
(essentiellement la biomasse)
Cette quantité d’énergie électrique permet d’assurer les besoins du pays, avec un solde énergétique exportateur positif qui dépend des conditions météorologiques, rigueur de l’hiver et/ou
sécheresse de l’été, de la demande intérieure, de la disponibilité du parc de production, etc….
( La question de savoir si ce solde positif en TWh est également positif en euros est une autre histoire, qui pourrait faire l’objet d’un chapitre spécial, nous ne l’aborderons pas ici, quoiqu’il
y ait beaucoup à dire…).
Mais, si la production annuelle est excédentaire, il n’en demeure pas moins que la puissance maximale disponible n’est pas suffisante pour satisfaire les besoins en période de pointe, lorsque la
demande flirte avec les 100 GW. Il est alors nécessaire d’importer de l’électricité, et de la payer au prix fort.
Au plus fort de la demande, la France a du « appeler » jusqu’à 7 GW , ce qui représente la puissance de plusieurs centrales (exactement huit réacteurs nucléaires de 860 MW électriques).
En effet, malgré une puissance installée de 125 GW, la puissance max disponible ne dépasse pas environ 90 GW car il n’est pas toujours possible de tirer le maximum d’une installation. Il faut
alors acheter du courant à l’étranger pour combler le déficit.
Ceci se produit en particulier lorsque plusieurs réacteurs nucléaires sont arrêtés en même temps pour les révisions décennales ou pour toute autre raison.
Nos voisins européens nous ont soutenus dans ces moments délicats, le ferons-t-ils toujours ?
Ce problème s’accentuera avec la montée en puissance des énergies nouvelles éolienne et solaire, qui sont essentiellement intermittentes.
En clair, nous avons de l’électricité pour nos besoins courants, mais nous avons du mal à assurer les fins de mois…
On comprend alors que les préoccupations principales à court-moyen terme de l’autorité en charge des approvisionnements électriques sont:
- Préserver la capacité de production pour faire face à la demande qui ne manifeste aucun signe de diminution, au contraire ( la baisse récente de la demande interne, provoquée par la crise, est
conjoncturelle. La tendance structurelle reste à la hausse).
- Réduire notre dépendance aux approvisionnements extérieurs en période de pointe. Ceci pouvant être obtenu par un lissage de la consommation grâce au déploiement des réseaux intelligents, dont
le nouveau compteur Linky est une première étape.
- Maintenir le coût du KWh à un niveau compatible avec les exigences sociales du Gouvernement, sachant que le tarif public règlementé est aujourd’hui en France le plus bas d’Europe ( La moitié du
tarif pratiqué chez notre voisin allemand ).
On voit tout de suite que ces trois préoccupations ne sont compatibles ni avec une quelconque réduction de la capacité de production, ni avec une stratégie industrielle qui pourrait conduire à
une augmentation des prix de revient, tant que le tarif règlementé restera le plus bas d’Europe.
Ces considérations réalistes incontournables induisent la stratégie pour le court-moyen terme:
N’arrêter un réacteur nucléaire que lorsque la relève sera prête.
Fessenheim a produit 11 TWh en 2011 ( Voir bilan RTE 2011). Il faut donc trouver l’équivalent d’une façon ou d’une autre.
Cet équivalent est en route. Il s’agit d’une part du programme éolien offshore confirmé lors de la conférence environnementale, et d’autre part de quelques centrales à gaz à cycles combinés qui
par ailleurs pourront prendre la relève de l’éolien en l’absence de vent.
Ceci nous conduit à une échéance 2016-2017, Fessenheim pourra alors être arrêté.
La stratégie pour le long terme est différente:
L’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique de 75% à 50% à l’horizon 2025 suppose le remplacement de 130 TWh nucléaires par autre chose.
Il est vraisemblable que sera développée une stratégie multi pôles s’appuyant sur différents axes:
- Les économies d’énergie.
Le fournisseur d’énergie électrique y contribuera grâce aux réseaux intelligents, à la rationalisation des réseaux de distribution, à une tarification incitative.
Les usagers auront en charge la réduction de leur propre consommation (isolation des bâtiments, efficacité énergétique, éventuellement auto-production).
Les pouvoirs publics disposeront de certains leviers qu’ils devront utiliser à bon escient: mesures fiscales, modulation du tarif public règlementé, tarif progressif, taxes diverses,
règlementation contraignante, etc…
Selon le succès de ce type de programmes, les économies réalisées pourront varier de zéro à 100 TWh d’ici 2025.
- le développement des énergies nouvelles.
Les sources nouvelles d’énergie durable, qui contribuent aujourd’hui modestement pour 3,5 % de la production électrique ( 20 TWh), sont une promesse qui ne demande qu’à se réaliser pourvu qu’on
lui en donne les moyens ( nos voisins étrangers nous montrent que c’est possible).
Elles devront donc croître de 13% par an environ pour atteindre 100 TWh en 2025.
Ce taux de croissance est parfaitement réalisable pour peu que les pouvoirs publics décident de soutenir cette nouvelle industrie par des mesures ambitieuses ( Financement, cadre règlementaire,
engagements pluri annuels, politique claire de rachat de l’énergie, protection contre la concurrence faussée, etc…).
- Le toilettage des moyens de production classiques.
La grande inconnue demeure le futur des énergies fossiles carbonées. La nécessité de prévoir leur disparition progressive est contrebalancée par le besoin de compenser l’intermittence des sources
renouvelables. Faute de pouvoir stocker l’électricité solaire et éolienne, il faudra construire des centrales thermiques à flamme capables de soutenir la demande d’énergie sans recourir à des
délestages fréquents.
La réussite d’une stratégie à échéance de 2025 suppose comme première condition l’assurance de la pérennité, qui ne peut être garantie que si les grandes options industrielles font l’objet d’un
consensus National par delà les clivages politiques. L’absence d’un projet national ne peut conduire qu’à l’immobilisme.
Ce consensus n’existe pas aujourd’hui.
La réussite d’une stratégie à long terme est également conditionnée par la nécessité de s’insérer dans un cadre Européen, et peut-être plus large.
Pour le développement des énergies solaire et éolien, il est évident qu’il existe des conditions géographiques. Telle région d’Europe est privilégiée pour l’éolien, telle autre pour le solaire,
telle autre enfin pour l’hydraulique. Un minimum de rationalisation sera nécessaire pour tirer le meilleur de chaque technologie.
Aujourd’hui il n’existe aucun projet concret dans ce sens.
La transition énergétique demandera des investissements très importants dans la recherche, dans le développement d’un outil industriel adapté et concurrentiel, dans la reconversion des
personnels, dans le développement des réseaux d’échanges internationaux d’énergie, dans les stratégies d’économie dans le bâtiment et les transports, dans l’acquisition du foncier nécessaire à
l’implantation des centrales solaires, dans la reconversion des sites nucléaires, etc, etc…sans parler du démantèlement.
Il est probable que la France aura les plus grandes difficultés à maintenir un tarif public règlementé du KWh à son niveau actuel, le plus bas d’Europe. La CSPE n’est qu’un pis-aller qui ne
saurait se transformer en impôt nouveau sans provoquer des désordres sociaux.
D’autres sources de financement devront être trouvées, qui ne sont pas identifiées aujourd’hui.
L’arrêt de quelques réacteurs nucléaires n’est donc qu’un des aspects, certes emblématique, d’un très vaste chantier qui implique la plupart des acteurs de la vie économique et industrielle.
La décision d’arrêter une vingtaine de réacteurs d’ici 2025 ne résoudra pas les problèmes de la transition énergétique car ils devront être remplacés et tout reste à faire.