La voiture électrique, accouchement difficile.
10 Avril 2021.
Il aura donc fallu dix ans pour réaliser que la voiture électrique à batterie (VEB) inaugure non seulement un saut technologique, mais également qu'elle entraîne un bouleversement des infrastructures associées et un changement radical de l'approche du concept de mobilité.
Les premières réactions du marché ont certes été prometteuses, mais c'était oublier que quelques hirondelles ne font pas le printemps.
En 2020 il y avait 200 000 VEB en France, pour un parc de véhicules de 32 Millions, soit 0,6 %.
Cette (très) faible représentation, après dix ans de promotion soutenue ( ô combien ) et malgré les primes à l'acquisition fort conséquentes, témoigne de la difficulté d'opérer un changement aussi radical sans avoir préparé le secteur à accueillir cette nouvelle technologie.
Il faut dire que la barre est très haute.
Le pétrole permet aujourd'hui de proposer des véhicules à moteurs thermiques qui offrent à la fois une autonomie supérieure à 700 km voire davantage, des performances attractives, un réseau l'alimentation en carburant de plus de 10 000 stations service qui permet de « faire le plein » n'importe où en moins de dix minutes sans file d'attente.
Un seul véhicule à pétrole, même bas de gamme, permet à la fois un usage journalier régional et l'accès aux grands itinéraires, et si nécessaire il est toujours possible d'atteler une remorque ou une caravane.
Ajoutons que la taxe carbone, censée contraindre les automobilistes à délaisser le pétrole, n'a pu être appliquée car on ne peut toujours pas tondre un œuf.
Quant à la vignette Crit'air, …. No comment.
Aujourd'hui, la voiture électrique à batterie ne peut pas offrir simultanément ces mêmes avantages.
Il n'existe aucun modèle de VEB possédant l'ensemble des qualités que l'on trouve dans un modèle thermique, même de moyen-bas de gamme.
( Nos articles précédents le démontrent amplement, et la presse spécialisée sérieuse le reconnaît )
De plus, très peu de VEB sont homologués pour le remorquage, ce qui est souvent dissuasif pour le futur client, surtout à la campagne...
Il apparaît clairement que l'ensemble des avantages dont dispose n'importe quel véhicule thermique ne peut être obtenu qu'avec deux véhicules électriques à batterie : l'un pour les déplacements locaux, l'autre pour les grands espaces.
Encore faut-il mettre un bémol sur l'usage « grands espaces ». En effet, si une grosse batterie de plus de 120 kWh permet d'afficher une autonomie de 4 ou 500 km ( d'ailleurs encore trop juste), le réseau ( 350 kW ) de recharge rapide de telles batteries n'existe pas encore pour satisfaire un volume de trafic important.
Et quel automobiliste accepterait de perdre une ou deux heures sur une autoroute pour récupérer 200 km d'autonomie sur une borne poussive incapable de lui fournir plus de 50 kW ?
Et quelle station service accepterait de voir ses bornes occupées trop longtemps alors que d'autres clients s'impatientent ?
(Le phénomène de « queuing » est déjà pris en considération dans certains pays, il est bien réel même s'il est complètement ignoré en France, et pour cause ).
Voir ici :
https://www.neozone.org/blog/wp-content/uploads/2019/12/tesla-superchargeur-800x469.jpg
Les constructeurs, évidemment conscients de ces problèmes, tentent de les contourner en proposant des véhicules hybrides.
Mais ces véhicules ne sont que des véhicules thermiques légèrement* électrifiés pour les peindre en vert car un « vrai » hybride coûterait les yeux de la tête .
*Certains ne disposent que d'une autonomie électrique ridicule dont le rôle réel est de réduire la consommation dans les conditions du test d'homologation.
(Il existe même des hybrides non rechargeables, qui ont, hélas, reçu l'homologation !!...).
Enfin, il ne faut pas oublier que la moitié des ventes de véhicules concerne des occasions. Or, une
Batterie de VEB doit être remplacée un jour ou l'autre et son coût est exorbitant. Un VEB sans batterie n'est qu'un morceau de fer. Sur un VEB d'occasion il est quasiment impossible de connaître l'état réel de la batterie ; l'achat d'occasion est donc une loterie, la perte pour le vendeur risque d'être une mauvaise surprise.
Le problème demeure donc entier, personne n'a encore trouvé le moyen de sortir de ce cercle vicieux.
L'Hydrogène vert pourra dans l'avenir constituer une alternative pour résoudre les problèmes d'autonomie et de temps de rechargement ( quelques minutes pour l'Hydrogène contre une ou deux heures voire davantage pour un VE à batterie, voire blocage en cas de queuing ).
Mais une filière Hydrogène ne peut être opérationnelle qu'à l'échéance de dix ans, avec de nombreux problèmes à résoudre ( Production d'Hydrogène vert, stockage, réseau de distribution, développement des piles à Hydrogène, etc ).
Et bien sûr développement des véhicules adéquats, ce qui représente des investissements très lourds pour des constructeurs qui devraient supporter à la fois le reliquat de véhicules thermiques ( à biocarburants?), les hybrides, et les électriques à batterie.
Des choix stratégiques devront donc être faits car il ne sera pas possible de supporter en même temps toutes les technologies.
En attendant cet Hydrogène salvateur (2020, 2030 ? ), et si les menaces qui pèsent sur les carburants pétroliers se précisent, contraignant les constructeurs à renoncer à produire des moteurs thermiques, et/ou interdisant l'accès des villes aux véhicules à pétrole, les usagers devront choisir de passer à l'électrique ou chercher d'autres moyens de se déplacer.
En cette occurrence, c'est donc la mobilité elle-même qu'il nous faudra repenser, en ménageant une place très importante aux transports collectifs dont le rôle sera déterminant.
Quant aux bio caburants, ils ne sont véritablement écologiques que s'ils sont de troisième génération, sous peine d'aggraver le problème. Ils ne sont pas encore prêts à prendre la relève du pétrole, et leur utilisation n'éliminera pas les émissions de polluants liés au moteur thermique.
Certains, plus pragmatiques que les penseurs de la stratégie, cherchent des solutions clé en mains pour doubler ce cap difficile qui nous attend au cours des deux prochaines décennies.
On peut citer l'entreprise EP Tender, qui tente de développer une solution de location de batterie remorquée qui pourrait être échangée rapidement dans des stations-service pour éviter l'obligation de recharger à une borne, coûteuse en temps.
Souhaitons-lui bonne chance car les problèmes de logistique et de sécurité sont nombreux dans ce domaine où les normes et la législation n'existent pas.
Rappelons par exemple que la plupart des VE citadins ne sont pas homologués pour tirer une remorque, or ce sont eux les premiers intéressés par une réserve d'électricité pour effectuer un long parcours occasionnel.
Voir ici :
https://www.avem.fr/2017/07/13/ep-tender-du-feu-vert-de-renault-jusquaux-impressions-sur-la-route/
Repenser la mobilité n'est pas chose facile.
Dès le milieu du XIX ème siècle ce problème de mobilité motorisée existait déjà ; il commença à recevoir une solution grâce aux compagnies de chemins-de-fer départementaux qui multiplièrent les petites lignes locales pour les voyageurs et les marchandises. La traction à vapeur était alors utilisée.
Mais ce développement fut stoppé par le pétrole désormais disponible et qui nous emmena là où nous sommes aujourd'hui. Il permit le moteur thermique, et donc les automobiles et surtout les camions et autocars qui tuèrent dans l’œuf les petits trains évidemment prisonniers des voies ferrées.
Voir ici :
https://www.ouest-france.fr/bretagne/finistere/finistere-des-balades-le-long-des-anciennes-voies-de-chemin-de-fer-6894144
Depuis quasiment un siècle, le développement du territoire et de la mobilité s'est effectué autour du pétrole. Le chemin de fer fait de la résistance mais rencontre beaucoup de difficultés, coincé entre la nécessité de service public et celle de la rentabilité financière.
On peut dire, sans tomber dans l'excès grandiloquent, que le pétrole est désormais le sang qui irrigue l'organisme territorial de la contrée. Et c'est ainsi pour l'ensemble du Monde développé.
Retirer ce sang, c'est tuer l'organisme si l'opération n'est pas compensée par des mesures appropriées capables de maintenir en action tous les rouages qui font le tissu social et économique.
Ces mesures appropriées ne sont pas identifiées aujourd'hui.
La première mesure à mettre en œuvre est évidemment le réseau de distribution électrique pour l'alimentation des autos en électricité, sans lequel la voiture électrique demeurera un jouet pour citadins. Quelles densité de bornes de charge, quelles puissances, quelles tensions, quelles situations, quels moyens de stockage ( Capacité de charge disponible ), quelle connectivité, quelle normalisation, quelles structures de contrôle de la conformité, quelle tarification, quelles responsabilité pour RTE, etc, etc.
Or cette première étape se déroule dans le plus grand désordre, sans qu'on puisse identifier les responsabilités, le plan de développement, les technologies prévues, le planning, ni même s'il y a un pilote dans l'avion...
Quant au prix de l'électricité délivrée, aujourd'hui c'est le régime pratiqué sur le souk d'Agadir qui s'applique.
Il est clair que tout cela n'est pas de nature à encourager le citoyen à passer à l'électrique ; il ne le fera que sous la contrainte, ce qui n'est pas souhaitable dans un pays prompt à revêtir les gilets et/ou les bonnets de triste mémoire.
L'automobiliste assez téméraire pour tenter Paris-Marseille en VEB un jour de départ en vacances sera bien inspiré de placer sa famille sous la protection de Sainte Françoise Romaine.
La seconde mesure, pourtant souvent évoquée lors des raouts sur l'écologie, concerne le rafraîchissement du réseau de transports collectifs, indispensables évidemment pour réduire le nombre de véhicules individuels en circulation .
Inutile de s'étendre à commenter la situation actuelle, nous en sommes encore à supprimer des lignes de chemin de fer dites secondaires, la tendance sera quasiment impossible à inverser.
A moins d'invoquer Saint Antoine...ou sa consœur précédente.
Quant à faire voyager nos voitures en train, c'était possible il y a quarante ans, c'est devenu un cauchemar aujourd'hui, on se demande bien pourquoi.
La troisième mesure consiste à préparer le réseau de distribution électrique à recevoir ce nouveau service qui sera gros consommateur d'énergie, et surtout de puissance.
Dix millions de VE branchés* chaque soir sur un chargeur domestique de 6 kW provoqueront un appel de puissance de 60 GW, supérieur à la puissance maximale du parc nucléaire actuel.
Cette situation est évidemment intenable. Un black-out général se produirait d'ailleurs bien avant.
Elle ne doit donc jamais se produire.
Pour éviter qu'elle se produise, il est impératif de gérer ce service en temps partagé, ce qui implique la mise en œuvre du réseau intelligent. Le Linky est prévu pour cela, mais la mise en œuvre du Smart-Grid est encore loin d'être opérationnelle.
*Dix millions de VEB représentent moins de 30% du parc de véhicules particuliers et utilitaires; c'est plus ou moins la prévision du PPE pour 2028.
Le déploiement du VE ne pourra avoir lieu que si ( au moins ) ces trois mesures sont suffisamment avancées pour accompagner la croissance du parc de véhicules électriques à batteries de manière crédible.
Faute de quoi nous devrons nous débrouiller avec des véhicules électriques dans un monde où la mobilité est conçue pour le pétrole mais où le pétrole sera interdit.