14 Mars 2012
Le maintien d’une politique énergétique faisant une grande place au nucléaire est un choix de société qui engage les générations futures. C’est pourquoi, dans un pays démocratique, ce choix doit être justifié auprès de la population et entériné par un référendum.
Un référendum n’est pertinent que dans la mesure où les électeurs possèdent les éléments de jugement leur permettant d’instruire à charge et à décharge.
Ce qui suit est une modeste tentative d’établissement d’une liste des attendus d’un éventuel procès à charge contre le nucléaire.
- L’usage établit une distinction entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil, considérant implicitement que l’un est destiné à tuer ( même s’il est présenté comme arme de dissuasion) , alors que l’autre serait inoffensif.
Ceci est une imposture. Une centrale électronucléaire devient une arme de destruction massive si elle est l’objet d’une frappe de missile conventionnel.
(Il existe de nombreux modèles de systèmes de missiles portables, par exemple le FGM-148 JAVELIN à guidage infrarouge du type fire and forget, disséminé dans toutes les armées du monde et dont certains sont vendus sous le manteau à prix très abordable. Deux hommes suffisent à le mettre en œuvre).
D’autre part la dissémination de la technologie nucléaire génère le risque de voir des éléments actifs tomber aux mains de terroristes fanatiques, et/ou de voir des Etats voyous développer des armes à partir du combustible radioactif.
Aucune autre source d’énergie ne présente ce risque.
- Un réacteur nucléaire qui échappe au contrôle, quelle qu’en soit la cause, devient une source de rayonnements ionisants très puissants qui affectent de larges régions sur lesquelles se répand une contamination de très longue durée affectant les populations sur le long terme.
Aucune autre source d’énergie ne présente ce genre de risque.
- Le fonctionnement d’un réacteur génère des déchets radioactifs pour lesquels il n’existe encore aucune solution satisfaisante pour leur traitement et/ou leur stockage. Il en est de même pour le démantèlement des installations.
- La technologie nucléaire, très complexe, exige un personnel de très haute technicité. De plus ce personnel doit être formé aux règles de sécurité contraignantes exigées dans ce domaine, et doit présenter des garanties de valeur professionnelle de très haut niveau. Ces conditions ne sont pas toujours remplies dans la pratique, particulièrement lorsqu’il est fait largement appel à la sous-traitance.
- Une centrale électronucléaire est très vulnérable aux catastrophes naturelles, aux chutes d’aéronefs, aux pertes d’alimentation électrique, à l’interruption de l’alimentation en eau, etc, qui conduisent immanquablement à une fusion du cœur et donc à une catastrophe majeure.
Ce n’est pas le cas avec les autres énergies, pour lesquelles les conséquences d’un accident demeurent localisées et gérables.
- Les réserves de minerai permettant d’obtenir le combustible nucléaire conventionnel sont limitées. L’AIEA estime que, compte tenu du programme nucléaire identifié, ce minerai ne sera plus disponible au-delà d’une cinquantaine d’années.
Actuellement une part importante ( 40% ) de l’uranium utilisé dans les réacteurs provient du recyclage des stocks militaires, ce transfert cessera en 2023.
La prolongation de l’exploitation de l’énergie nucléaire ne pourra être envisagée que si l’on fait appel à des surgénérateurs ( Génération IV), qui présentent des risques encore plus élevés.
- L’exploitation de l’énergie nucléaire « civile » entre dans une logique de rentabilité financière. Cette logique impose que chaque étape du processus doit être pensée, réalisée, et mise en œuvre, dans un souci constant de réduction des coûts. Cette démarche est par définition incompatible avec le plus haut niveau de sécurité indispensable, qui devrait rester prioritaire.
- Les risques sanitaires que l’exploitation du nucléaire fait courir à la population ne sont pas sérieusement pris en compte. Les contrôles de sécurité sont effectués en interne, et les « incidents » sont souvent minimisés, voire dissimulés. Les populations sont mal ou pas du tout informées, tout le monde se souvient du nuage de Tchernobyl et la gestion de Fukushima est maintenant connue.
- Le prix de revient réel de l’électricité nucléaire est supérieur à celui des autres énergies lorsque l’on prend en compte tous les éléments, notamment le traitement et le stockage des déchets, et le démantèlement.
- L’indépendance énergétique revendiquée à propos du nucléaire n’est une réalité que pour les pays qui possèdent du minerai sur leur sol, ce n’est pas le cas de la France, qui se procure la précieuse denrée hors de ses frontières. Elle est donc tributaire de la pérennité des accords passés avec les Etats détenteurs des droits de propriété, et donc vulnérable aux bouleversements géopolitiques.
Cette liste, probablement non exhaustive, ne plaide pas en faveur de la poursuite du nucléaire.
Le seul argument favorable à celui-ci est la quasi absence d’émission de dioxyde de carbone. Mais le poids de cet argument est fonction de l’importance que l’on accorde à ce paramètre.
Il y a donc une ouverture pour une plaidoirie démontrant que la décision en matière de choix énergétiques ne dépend pas seulement des caractéristiques intrinsèques des différentes solutions, mais également des interactions entre ces solutions et le système Terre-Atmosphère.
Si les prévisions de réchauffement climatique se confirment, et s’il est avéré que les émissions anthropiques de CO2 y ont une part prépondérantes, et si le changement climatique résultant entraine des catastrophes pour les sociétés humaines, alors ce n’est pas le nucléaire qu’il faudra arrêter, mais bien plutôt les énergies fossiles qui sont la cause du désastre climatique annoncé.
Le nucléaire serait alors conservé comme un moindre mal, en complément des énergies nouvelles décarbonées, qui ne suffiront pas à elles seules à satisfaire les besoins énergétiques de la planète.
Le risque sanitaire lié à l’énergie nucléaire passerait alors au second plan derrière les risques générés par un réchauffement climatique catastrophique.
Le jury devra peser les risques respectifs du nucléaire d’une part, et du réchauffement climatique d’autre part, pour décider en toute connaissance des causes.
L’instruction d’un tel procès montrera qu’il manque certaines pièces essentielles au dossier. Par exemple la connaissance exacte du réchauffement attendu, la part du CO2 anthropique dans ce réchauffement, les bouleversements climatiques régionaux résultants, l’impact sur la structure des société humaines, les mouvements de population, les conflits éventuels.
Il apparaitra rapidement que plusieurs décennies seront nécessaires pour progresser dans la connaissance des conséquences de nos choix, et qu’il est pour le moins prématuré de trancher avant de connaître l’ensemble du problème.
Cependant il faut tenir compte de l’aspect émotionnel des jugements.
Le nucléaire représente des risques de court terme, localisés, dont les conséquences sont palpables, Tchernobyl, Fukushima.
Le réchauffement climatique présente aussi des risques, peut-être plus importants, mais de plus long terme et assez mal identifiés, et vus comme affectant surtout les régions de faible latitude.
Le verdict sera donc différent, selon que tel membre du jury vit en zone équatoriale ou au Nord du trentième parallèle.
Il est vraisemblable que les décisions seront argumentées par des critères régionaux, voire même nationaux. Or les problèmes de bouleversements climatiques et/ou de retombées nucléaires sont planétaires.
Les nuages radioactifs ne connaissent pas les frontières, et un réchauffement ici peut être accompagné d’un refroidissement ailleurs.
Il semble donc difficile d’aboutir à une gestion planétaire saine de l’énergie en l’absence d’un organe mondial de décision.
Les errements de Durban ne traduisent pas autre chose…