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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 09:24

La dure existence d'un réacteur nucléaire.

14 Mars 2016

Un réacteur nucléaire est fréquemment comparé à une cocotte minute ou à une chaudière de chauffage central.
Certes, il en utilise certains principes de base, mais il en diffère par quelques "petits" détails.
Une meilleure image serait celle d'un équilibriste posé sur un fil tendu au-dessus du cratère d'un volcan en activité, et qui devrait garder cette position durant quarante années, voire davantage.
Encore que, si notre homme tombe, il disparaît sans causer d'autre dégât qu'à lui-même.
Tandis que si notre réacteur "perd l'équilibre", les dégâts seront autrement importants comme on a pu s'en rendre compte à deux reprises en moins d'un quart de siècle.
La conduite d'un réacteur ne supporte pas l'approximation.
La description des multiples avatars susceptibles de précipiter la catastrophe nous entraînerait trop loin et pourrait causer maints cauchemars chez le lecteur non prévenu .
Le maintien d'un réacteur en bon état de fonctionnement est une sorte de guerre de tranchées perpétuelle, une traque permanente du moindre petit écart de paramètre qui pourrait déclencher un enchaînement d'incidents dont l'issue est souvent fatale s'il n'y est pas mis bon ordre dans les plus brefs délais.
Heureusement le personnel est aidé dans sa tâche par une armée de dispositifs automatiques redondants qui se chargent de l'essentiel du travail de régulation, de détection des écarts de fonctionnement, et d'application des mesures de correction nécessaires.
A condition bien sûr que les sondes, les soupapes, les tuyaux, les pompes, les relais électromagnétiques, les voyants d'alarmes, les électrovannes, les détecteurs de niveaux, les manomètres, et autres commandes manuelles ou non, soient de bonne composition et consentent à se comporter conformément au cahier des charges et sans défaillance.
La perfection n'étant pas de ce monde, la présence permanente d'une équipe de spécialistes est requise pour prendre les décisions lorsque des choix s'imposent concernant la conduite à tenir en présence d'une anomalie. En l'occurrence, des procédures précises doivent être suivies, qui sont décrites dans des "cahiers de consignes" dont l'exhaustivité doit être le gage de la bonne marche du système.
Le principe est que rien ne doit être laissé au hasard ni à l'improvisation.
Un réacteur n'aime rien tant que la tranquillité. Lorsqu'un état d'équilibre est obtenu, il vaut mieux ne rien faire pour le perturber, il faut surtout éviter les variations brusques car elles nuisent à la santé des différents organes, et donc à la longévité de l'ensemble. Les chocs thermiques et les vibrations sont particulièrement redoutés.
Toutes les installations de production d'électricité, parmi lesquelles 58 réacteurs nucléaires, sont raccordées au réseau et ont entre autres pour tâches de contribuer au maintien de la fréquence de 50 Herz et de la tension, dans des limites précises.
A chaque instant, l'ensemble de ces installations est géré de manière à fournir exactement la puissance demandée par les utilisateurs.
Il existe une très faible capacité de stockage d'électricité, constituée par un parc de STEP (Station de Transfert d'Energie par Pompage) qui sert surtout à amortir les à-coup de puissance sur le réseau.
Les utilisateurs "appellent" de la puissance en fonction de leurs besoins du moment, et c'est aux gestionnaires du réseau de s'arranger pour la leur fournir.
Pour cela il existe chez ERDF un service important de prévisions de consommation, dont la tâche est d'analyser les besoins et les habitudes des consommateurs (particuliers, commerçants, industriels) afin d'établir des prévisions permettant de gérer au mieux les installations de production.
La puissance électrique demandée par ce réseau est fluctuante, elle peut varier de +/- 50% selon l'heure, le jour, la saison, les conditions météo (Chauffage électrique).
Il est donc nécessaire de pouvoir faire varier la puissance injectée dans le réseau, au rythme de la demande.
Tant que l'électronucléaire ne participe que pour une faible part à la production électrique d'un pays, il est effectivement possible de conserver les réacteurs à leur puissance nominale et de suivre la demande en agissant sur les autres moyens de production (Thermiques en général).
Mais lorsque, comme en France par exemple, le nucléaire constitue l'essentiel des moyens de production électrique, il devient nécessaire d'ajuster la puissance du parc en modifiant la puissance des réacteurs eux-mêmes.
Les réacteurs doivent donc travailler en "régime flexible" selon le mode de "suivi de charge".
La plupart des réacteurs (Sinon tous) peuvent fonctionner dans ce mode, avec des possibilités d'amplitude plus ou moins grandes, mais ce régime entraîne une fatigue supplémentaire du matériel, dont on doit tenir compte dans le programme de maintenance.
La licence d'exploitation de chaque réacteur définit ainsi le nombre total de cycles de variation de charge admissibles en fonction de la conception d'origine du réacteur et du types de transitoires autorisés.
La modulation de puissance (Suivi de charge) est obtenue par deux procédés classiques: Le positionnement des barres de contrôle et/ou la concentration d'acide borique dans le circuit primaire.
Notons au passage que, pour les réacteurs français de première génération (900 MWe) type Fessenheim, la modulation de puissance par l'acide borique (mode A) est largement utilisée. C'est un mode efficace mais lent.
( Contrairement à ce qui a pu être dit à propos de la récente controverse sur Fessenheim, l'arrêt d'un réacteur de génération 1 avec injection de Bore n'est pas une procédure exceptionnelle).
Lors de la modulation de puissance, il se produit des variations de température dans le circuit, qui entraîne une fatigue de la plupart des composants par changements cycliques de charge mécanique. Cette fatigue entraîne une usure prématurée, cause de changements structuraux.
Chaque réacteur est donc spécifié pour un certains nombre de cycles d'amplitude et de temps de transition autorisés.
La fatigue liée à la modulation de puissance concerne entre autres:
- La cuve, qui doit supporter les écarts de température importants préjudiciables à la fiabilité à long terme (fragilisation de l'acier).
- Les piquages des tuyaux de raccordement des boucles du circuit primaire, fatigue des soudures, fuites éventuelles.
- Le revêtement en acier inox de l'intérieur de la cuve, les contraintes thermiques peuvent provoquer des microfissures sous le revêtement.
- Les fourreaux de passages des barres de contrôle et de l'instrumentation, qui traversent le couvercle de cuve et doivent assurer l'étanchéité. Ils n'aiment pas les chocs thermiques.
(Ils sont contrôlés lors des visites annuelles, et sur certains il existe des sondes de détection de fuites d'eau primaire).
- Les crayons de combustibles, avec des écarts de dilatation entre les pastilles et la gaine, entraînant des fissures et des fuites de combustible dans le circuit primaire.
- La densité de puissance dans le cœur, qui subit des variations liées aux divergences de température.
- Les vannes du pressuriseur, dont la fréquence de travail est augmentée considérablement.
- Le pressuriseur lui-même, qui travaille beaucoup plus en mode suivi de charge qu'à puissance constante.
- Les barres de contrôle, qui n'arrêtent pas de faire le yo-yo dans les gaines, qui s'usent beaucoup plus vite.
- Le mécanisme de commande des barres de contrôle, fortement sollicité.
- Les pompes, qui n'apprécient guère les changements de régime fréquents, qu'il s'agisse des pompes primaires ou du circuit secondaire vers les générateurs de vapeur.
- Les générateurs de vapeur eux-mêmes, dont les tubes échangeurs de chaleur sont mécaniquement sollicités, avec un régime de vibrations variable en fonction des variations de température. Les risques sont des ruptures au niveau des tubes échangeurs ou des canalisations de raccordement au circuit primaire.
- Etc…
Beaucoup de monde dont il faut vérifier périodiquement l'état de santé.
Les barres de contrôle doivent faire l’objet d’un suivi particulier en raison de leur rôle essentiel dans la sureté. En cas de problème pouvant affecter la partie nucléaire de l'installation (Cuve du réacteur, circuit primaire, circuit secondaire, combustible, température, pression, pressuriseur, pompes primaires et secondaires) il faut arrêter immédiatement le réacteur. Ceci est obtenu en déclenchant la chute des barres de contrôle au sein des grappes de crayons combustibles, la réaction est alors stoppée en deux secondes.
L'arrêt est ensuite conforté par injection d'acide borique dans le circuit primaire si nécessaire.
Lorsque le réacteur est ainsi "arrêté" le cœur continue à chauffer et dégage environ 7% de sa puissance nominale, ce qui fait quand même 210 MW sur un réacteur de 1000 MW électriques (3 000 MW thermiques).
Il faut donc continuer à le refroidir sous peine de fusion du cœur et accident niveau 7+ (Fukushima). Le cœur est considéré comme froid au bout d'un mois seulement.
Il est donc indispensable que les barres de contrôle soient en parfait état, ainsi que le mécanisme de commande et les gaines de coulissement.
Si les barres de contrôle sont coincées, on a toujours la solution d'arrêter le réacteur en injectant massivement de l'acide borique dans le circuit primaire.
En mode de suivi de charge ces barres de contrôle sont très sollicitées et s'usent plus rapidement qu'en mode régime de base.
Le blocage d’une ou plusieurs barres peut résulter d’une usure intense. L’accident le plus important à ce niveau est le percement d’une gaine d’étanchéité dans laquelle coulisse une barre de contrôle. Sous l’effet de la pression du circuit primaire (155 kg), il peut alors y avoir éjection de la barre avec des dégâts collatéraux et fuite de fluide primaire dans l’enceinte.
L’affaire peut très mal se terminer si le réacteur n’est pas aussitôt arrêté. Il est important que soit monté un dispositif limitant le déplacement de la barre en cas d’éjection, ce n’est pas le cas partout.
Le fonctionnement en mode de suivi de charge n’est donc pas anodin. Il nécessite un suivi particulier et une maintenance plus lourde.
L'arrivée des énergies nouvelles intermittentes, dans un environnement non prévu pour stocker l'électricité, crée une situation nouvelle qui va aggraver la fatigue des réacteurs:
L'éolien et le solaire étant des énergies intermittentes par nature, le réseau aura à gérer des apports massifs très irréguliers d'énergie. Face à une demande relativement stable, il faudra donc moduler la puissance du réseau en mettant les autres centrales (Thermiques et nucléaires) en mode de suivi de charge intensif, provoquant ainsi une fatigue supplémentaire des installations.
Tout ceci est évidemment pris en compte dans la gestion du parc nucléaire, mais il n'en demeure pas moins que l'arrivée "sauvage" des renouvelables intermittentes fait peser un problème nouveau sur l'ensemble du parc de production "classique".
La nécessité de systématiser le mode de suivi de charge implique d'accompagner le déploiement de la production intermittente d'une part de production "flexible" en l'absence de moyens de stockage d'électricité.
Cette production flexible sera à base de centrales thermiques à gaz dans l'hypothèse d'une sortie du nucléaire. Sa part pourra représenter 30 à 40% de la puissance installée, et dépendra de la structure du parc d'énergies renouvelables, de la répartition éolien/solaire, du régime des vents et de l'ensoleillement.
L'augmentation de la part des énergies renouvelables intermittentes aura donc un impact certain sur le vieillissement des réacteurs nucléaires.

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