Branle-bas de combat chez RTE, kW en péril, mettez vos gilets.
12 Janvier 2021
La production française d'électricité ( 530 TWh ) est décarbonée à 95% :
75 % Electronucléaire, et 20% Eolien, Solaire, Hydroélectrique, et thermique à biomasse et biogaz.
Dans cette configuration, cette production satisfait aux conditions imposées dans le cadre de la lutte contre les émissions de CO2.
Elle satisfait également aux recommandations de l'IEA ( International Energy Agency ) rappelées dans le SDS ( Sustenable Development Scenario ) « ETP ( Energy Technology Perspectives ) 2017 Report » .
Il est précisé dans ce rapport que, compte tenu de l'état mondial du développement des énergies renouvelables, les objectifs pour la réduction des émissions de CO2 ne pourront pas être tenus sans une croissance significative de la production d'électricité nucléaire.
Mais en France, le nucléaire n'a plus la cote, non sans d'excellentes raisons.
Exit donc les fossiles à cause du CO2, et le nucléaire à cause de Tchernobyl et Fukushima.
Dans la production d'électricité en France la part des fossiles est déjà très réduite, environ 5%, qui seront progressivement convertis au biogaz et à la biomasse.
Il « reste » donc à convertir les 75% de production nucléaire en renouvelables, soit 400 TWh environ.
C'est une quantité énorme d'énergie.
La part de l'électricité renouvelable est de 20% aujourd'hui, soit 110 TWh.
Passer de 110 TWh à 530 TWh représente un saut technologique que l'on aurait tort de sous-estimer.
Par ailleurs, s'imaginer qu'une partie de la solution sera dans la réduction drastique de la consommation d'électricité, risque de conduire à de grosses désillusions.
Même si l'attrait pour les énergies vertes Solaire, Eolienne, Hydraulique, géothermique, est parfaitement justifié, leur développement au niveau du remplacement des fossiles et du nucléaire prendra plusieurs décennies durant lesquelles il faudra bien continuer à produire de l'électricité.
Durant cette période de transition, nous devrons assurer le raccordement avec les fossiles ou le nucléaire, probablement les deux.
La stratégie choisie découlera de deux facteurs dont l'évolution comporte un fort taux d'incertitude :
Le premier est la valeur effective du gradient de réchauffement de l'Atmosphère, et de ses conséquences. La sévérité des mesures de mitigation dépendront de ce facteur qui n'est évidemment pas sous contrôle.
Le second sera le gradient de montée en puissance des énergies vertes de remplacement que nous serons capables d'assurer.
Ici nous ne parlons pas des prévisions papier, mais de la réalité du terrain :
Les appels d'offres pour la construction de parcs éoliens offshore ont été lancés en 2011, et dix ans plus tard, il n'existe encore aucune éolienne offshore en production.
A ce rythme on imagine sans peine le temps qu'il faudra pour atteindre les objectifs de la transition énergétique !!
Face à des perspectives aussi incertaines, le bon sens conduit à préserver l'existant tant que les solutions de remplacement ne sont pas encore disponibles.
En France, l'existant est l'électronucléaire; il nous faut donc maintenir le nucléaire aussi longtemps qu'il faudra, avec une réduction progressive de ses capacités de production selon les possibilités des ENR.
Le principe de cette stratégie n'est pas contesté ( on ne voit pas très bien comment faire autrement ! ) ; par contre, le calendrier est l'objet de farouches affrontements.
Le point clé de ce calendrier est évidemment la date ( car il faut bien fixer une date, sauf à bavarder dans le vide ) à laquelle la part de la production nucléaire sera ramenée à 50% de la production totale d'électricité.
Cette date, dont dépend l'ensemble du PPE, est bien sûr le point à partir duquel sera décidée la stratégie industrielle pour les trois ou quatre prochaines décennies.
Les valeurs glissantes proposées au fil du temps, et des gouvernements successifs ( 2025, 2035, …) traduisent l'impossibilité pour l'Etat à maîtriser ce type de projet qui doit s'inscrire dans la continuité sur plusieurs décennies, alors que la visibilité « politique » n'est que de cinq ans, avec seulement trois ans de marge de manoeuvre.
Il en résulte que le, ou les, énergéticiens français redevables de l'obligation de service public de l'électricité, ne savent plus à quels saints se vouer et tirent le signal d'alarme pour tenter d'obtenir un peu plus de cohérence dans ce qui commence à ressembler au souk de Marrakech.
En effet, si l'Homme politique peut être vague dans ses annonces sans créer de catastrophe, l'industriel énergéticien a besoin de certitudes pour fournir de l'électricité sans mettre le pays en panne.
En politique, le principe général, qui a quasiment force de Loi aujourd'hui, consiste à reporter les décisions critiques sur le prochain quinquennat ce qui, compte tenu de la lenteur des procédures et de la faible durée des gouvernements, revient à ne jamais rien décider du tout.
Devant l'absence de consistance des projets de développements industriels pour la transition énergétique, RTE, chargé du réseau et de son exploitation, pressent d'importants problèmes dans les prochaines années et tâche de boucher les voies d'eau.
Et des voies d'eau, il y en a :
Jusqu'à présent la production nucléaire, stable et largement disponible, permettait le luxe de fournir au pays la puissance appelée par les consommateurs, quelle que soit cette demande et quel que soit le moment. Le nucléaire, et le thermique, suffisaient avec l'appoint de l'Hydraulique à fournir au réseau jusqu'à 100 GW de puissance, ce qui autorisait le passage des pics de consommation sans trop de difficultés.
Cette heureuse époque est révolue.
Le parc nucléaire est vieillissant, sa production baisse à cause d'une maintenance plus exigeante ; d'autre part la pression de l'opinion exige la fermeture des plus vielles centrales, d'abord Fessenheim fermée en 2020, qui sera suivie bientôt de quatorze autres INB ( Installations Nucléaires de Base ).
La production nucléaire sera ainsi amputée de 20% sans perspectives claires de remplacement ; EDF tient en réserve un projet de construction de six EPR génération 2, mais projet non encore approuvé et probablement violemment contesté par les opposants. Classiquement la décision est reportée au prochain quinquennat...
Ces 100 TWh de remplacement devront être remplacés par la même quantité d'énergie en version verte évidemment, solaire, éolienne, hydraulique, ou thermique à biogaz ou biomasse.
Ou nucléaire si le prochain président en décide ainsi.
En bref, aujourd'hui on ne sait rien...
Mais ce n'est pas tout.
Si la solution nucléaire est écartée, les 100 TWh requis devront être produits en grande majorité par des sources intermittentes solaire, hydraulique, éolien. Cette production sporadique ne pourra être intégrée au réseau que s'il existe les moyens de compensation de l'intermittence. Inutile de préciser que ces moyens n'existent pas et qu'aucun projet n'est encore identifié.
Cette situation d'indécision structurelle bloque toute visibilité sur l'évolution future du parc de production électrique.
Il faut donc s'attendre à un avis de grand frais sur les fournitures d'électricité.
Pour tâcher de limiter les dégâts et d'éviter les coupures de courant impromptues à cause d'un réseau devenu incontrôlable, il est essentiel de prendre des mesures préventives pour faire au mieux avec les moyens existants car nous entrons dans une ère de parcimonie.
La première chose à faire sera d'améliorer la gestion du réseau en y introduisant une dose suffisante de contrôle pour en maîtriser les fluctuations de la puissance appelée.
En effet, aujourd'hui le réseau fonctionne sur le principe du guichet ouvert : le consommateur peut appeler n'importe quelle puissance à n'importe quel moment dans la limite de son abonnement ; il appartient au gestionnaire RTE d'injecter dans le réseau suffisamment de puissance pour satisfaire la demande globale.
Il est évident que ce système ne peut fonctionner que si le gestionnaire RTE dispose d'un assez large excédent de puissance disponible pour répondre aux demandes les plus extravagantes.
Par exemple, pour une puissance réseau moyenne de 60 GW, les pics de puissance appelée atteignent parfois jusqu'à 100 GW, que l'on ne peut satisfaire qu'avec un parc de production surdimensionné, non intermittent et pilotable.
Or le futur parc de production ne sera ni surdimensionné, ni pilotable, et il sera intermittent.
Le système de distribution à guichet ouvert doit donc être abandonné au profit d'un système inverse, dont le principe est l'adaptation de la demande à l'offre.
C'est une révolution copernicienne que les consommateurs n'accepteront qu'avec difficulté et il faut s'attendre à une opposition auprès de laquelle la « révolte » anti Linky n'est qu'une aimable bronca.
Pour mettre en œuvre ce nouveau concept il est nécessaire d'entretenir un dialogue avec chaque consommateur pour négocier les conditions particulières de chaque installation. Le compteur Linky est l'organe prévu pour gérer cette nouvelle application qui doit être implémentée à partir de 2022.
Ce nouveau compteur est la première étape de ce changement de « philosophie énergétique » qui devrait être généralisée à l'horizon 2030.
La première étape de ce programme de « rééducation » du consommateur sera une campagne de sensibilisation au problème.
D'abord introduire la contrainte liée à la limitation de la puissance disponible pour alimenter le réseau : La disponibilité de cette puissance sera remise en question à cause du remplacement des installations de production de base par des installations de production intermittentes dépendant des conditions météo ; la demande devra être adaptée à la puissance disponible à un moment donné ; comment cette adaptation peut être réalisée sans pénaliser les consommateurs ; pourquoi les consommateurs devront accepter une discipline dans la gestion de leur consommation électrique ; quelles types de contraintes seront à envisager, quels aménagements seront nécessaires pour en tenir compte ; quelles compensations tarifaires sont prévues pour inciter l'abonné à coopérer au succès de l'opération.
L'étape suivante, complémentaire, aura pour but de concilier les préoccupations à court terme des consommateurs avec les nécessités incontournables de l'évolution technologique imposée par la transition énergétique.
Des décennies de bons et loyaux services du fournisseur historique d'énergie électrique ont conforté à juste titre les usagers dans leur exigence du maintien de la qualité du service public de l'électricité, qui est perçu dès lors comme un « avantage acquis » qui ne saurait être remis en question.
Aujourd'hui, pour un abonné, les prérogatives du fournisseur d'énergie s'arrêtent au compteur et se bornent à compter l'énergie absorbée et à limiter la puissance instantanée soutirée à la valeur correspondant à son abonnement. La façon dont cette énergie est utilisée, les usages de destination, les horaires, sont considérés comme données privées qui, à ce titre, doivent demeurer confidentielles.
Or la gestion du réseau dans le but de lisser les fluctuations de la demande globale de puissance ne peut être réalisée qu'en effectuant un arbitrage entre les différents « cluster » de soutirage, et les différentes applications, ce qui suppose une capacité d'intervention du fournisseur sur certaines zones de l'installation privée. Même si cette procédure est négociée avec l'abonné, elle sera ressentie comme une intrusion.
Des démonstrateurs existent déjà pour justifier certains choix et mesurer l'efficacité des différents types d'applications « smart grid ». Le déploiement du système s'effectuera dans le cadre de la RT 2020 qui entre en vigueur en ce début d'année 2021.
Le succès d'une telle opération dépendra essentiellement de la coopération des usagers, dont la participation sera négociée et non imposée.
Un important travail de communication sera nécessaire pour « vendre » ce nouveau concept aux usagers,
En attendant la mise en œuvre de ce nouveau système, il faudra gérer une période d'incertitude sur la baisse de production des vieilles centrales nucléaires, le retard du démarrage du réacteur EPR de Flamanville, le retard considérable de la construction des parcs éoliens offshore de la côte Atlantique, le retard, ou l'annulation, du projet de six réacteurs EPR2, et l'absence de projet d'envergure d'installations de stockage tampon pour compenser l'intermittence des renouvelables.
RTE a d'ores et déjà lancé un préavis de possibilité de coupures ciblées durant la période Février 2021 en raison de la baisse de disponibilité du parc nucléaire due à un décalage des périodes de maintenance pour indisponibilité des équipes désorganisées par l'épidémie en cours.
Un dispositif coopératif baptisé Ecowatt est mis en place pour demander aux usagers volontaires de réduire leur consommation en fonction des avis prévisionnels de faiblesse du réseau.
https://www.rte-france.com/actualites/ecowatt-dispositif-eco-citoyen-pour-mieux-comprendre-lactualite
Les temps sont donc venus pour les citoyens de participer activement à la transition énergétique. Les nouvelles énergies ne nous seront pas données sans effort.